39,00 

avec des textes de Ritwik Ghatak,
Sibaji Bandyopadhyay, Raymond Bellour,
Moinak Biswas, Serge Daney, Marianne Dautrey,
Hervé Joubert-Laurencin, Advaita Malla Barman,
Kumar Shahani, Rabindranath Tagore,
Charles Tesson

traductions de Marianne Dautrey et Christophe Jouanlanne,
France Bhattacharya, Thibaut d’Hubert,
Chandrasekhar Chatterjee, Martin Richet

416 pages, 428 images
format : 17×23 cm
couverture souple avec rabats

publié avec l’aide du Centre national du livre (CNL)

ISBN: 978-2-9529302-8-4
date de parution: mai 2011

 

Ritwik Ghatak

Des films du Bengale


édition établie et présentée par Sandra Alvarez de Toledo

Description

 

Ritwik Ghatak (1925-1976) est, avec Satyajit Ray et Mrinal Sen, l’un des trois plus grands cinéastes indiens (bengalis) du vingtième siècle. Il est également considéré comme un cinéaste majeur de l’histoire du cinéma, un inventeur de formes, un poète dans l’Histoire. Ce livre est le premier qui lui soit consacré en langue française.

En 1947, Ghatak quitte le Bengale oriental, où il est né et où il a grandi, pour Calcutta. Il fait partie de ces dix millions de réfugiés (Bengale et Penjab confondus), pour qui l’indépendance de l‘Inde signifia violence, misère et exil. Son œuvre cinématographique est à raison et à tort associée à cet épisode tragique de l’histoire de l’Inde, la partition du Bengale. Il meurt trente ans plus tard, en 1976, à cinquante ans, ravagé par l’alcool et la maladie, vaincu par trente ans de lutte contre l’establishment postcolonial, contre la décadence et la corruption politique et intellectuelle de la middle class dont il est issu, et contre un monde qui dénie le génie de son peuple.

L’essentiel de son œuvre tient en huit films. Nagarik (1953) est encore empreint de la théâtralité militante de l’Indian People’s Theatre Association (organe du Parti communiste indien), dont il est un membre actif à l’époque. Ajantrik (1957), son deuxième film, est un chef d’œuvre burlesque ou “réaliste fantastique” et une fable sur la modernité. Le Fugitif (1959) est le récit de la fugue d’un enfant et de son expérience de Calcutta dans les années qui suivirent l’Indépendance. Puis vient la “trilogie de la Partition” (L’Étoile cachée, 1960, Komal gandhar, 1961, et Subarnarekha, 1962), dans laquelle il invente une forme de mélodrame critique qui vise à produire des chocs affectifs, le retour d’images rendues inaccessibles par la coupure de l’exil. En 1972 il tourne au Bengale oriental (devenu le Bangladesh), sur les lieux de son enfance, Une rivière nommée Titas, une épopée brechtienne qui met en scène l’extinction d’une communauté de pêcheurs dans les années 1930. Son dernier film, Raison, discussions et un conte (1974), est un essai sur la condition du Bengale contemporain, dans lequel il joue son propre rôle, celui d’un intellectuel marxiste à la dérive et vaincu par l’Histoire.

Ritwik Ghatak. Des films du Bengale est constitué d’un montage de textes du cinéaste (articles, entretiens, une lettre et un scénario) et de quatorze études signées des meilleurs connaisseurs de son œuvre, indiens et français; monographiques ou thématiques, ces études sont réparties au fil du livre, entrelacées aux textes et images du cinéaste. Les trois auteurs indiens, Sibaji Bandyopadhyay, Moinak Biswas et Kumar Shahani sont des connaisseurs intimes de l’œuvre de Ghatak et de la culture bengalie. Parmi les auteurs français, Raymond Bellour, Serge Daney, Marianne Dautrey, Hervé Joubert-Laurencin, Charles Tesson, certains connaissaient déjà l’œuvre de Ghatak, d’autres l’ont découverte à l’occasion de ce livre. Leurs analyses de l’art de Ghatak complètent l’approche plus culturelle des Indiens. Un chapitre d’Une rivière nommée Titas, le récit de l’écrivain bengali Advaita Malla Barman adapté par Ghatak, donne un aperçu de ce que fut la littérature populaire des années 1930 et la sensation de la vie au Bengale oriental autour des fleuves. La présence de Rabindranath Tagore, dont l’œuvre est constitutive de la sensibilité de Ghatak comme de celle de tous les Bengalis, est assurée dès l’ouverture par Yaksha, le poème de la séparation d’avec les dieux et d’avec la grande spiritualité indienne. Le livre s’achève par une chronologie des événements historiques et politiques, par une biographie détaillée, une filmographie et un glossaire.

Environ quatre cents images plongent le lecteur dans l’histoire tragique du Bengale contemporain et dans la fantaisie mythologique et moderne de Ritwik Ghatak. En ce sens, ce livre est à la fois un recueil d’idées, un document d’histoire et une œuvre en images.

 

 

sommaire

 

Le Grand Temps de Ritwik Ghatak
Sandra Alvarez de Toledo

Ouverture / Alap :
– Le territoire de Ghatak : fragments, cartes, paysages
– Yaksha
Rabindranath Tagore
– Remémorer, remembrer. 1. Ritwik Ghatak, Kalidas et Rabindranath Tagore
Sibaji Bandyopadhyay

I – 1952-1958

Festival de cinéma à Calcutta
Ritwik Ghatak

Remémorer, remembrer. 2. Un citoyen parmi tant d’autres
Sibaji Bandyopadhyay

Quelques réflexions à propos d’Ajantrik
Ritwik Ghatak

Le tacot de Ghatak
Serge Daney

À propos des Oraons de Chhotanagpur
Ritwik Ghatak

L’erreur pathétique. Ajantrik
Hervé Joubert-Laurencin

II – 1959-1962

Une longue série d’obstacles
Ritwik Ghatak

Le temps d’une fugue (Le Fugitif)
Marianne Dautrey

Le cinéma et moi
Ritwik Ghatak

Une attitude face à la vie, une attitude face à l’art
Ritwik Ghatak

« Peu de gens devineront ce qu’il a fallu être triste pour ressusciter Carthage »
Marianne Dautrey

Le film qu’on accompagne (L’Étoile cachée)
Raymond Bellour

Reprise et variations (Komal gandhar)
Raymond Bellour

Sur mon propre chemin
Entretien avec Ritwik Ghatak

Derrière le miroir (Subarnarekha)
Charles Tesson

À propos de Subarnarekha
Ritwik Ghatak

III – 1963-1972

Le genre humain, nos traditions, notre cinéma, et mes tentatives
Ritwik Ghatak

La musique dans le cinéma indien et l’approche épique
Ritwik Ghatak

Laissons parler les chansons
Moinak Biswas

Quatre pas au Bengale. Bagalar Banga darshan
Hervé Joubert-Laurencin

Cinéma bengali : influences littéraires
Ritwik Ghatak

Lettre au président du Film and Television Institute of India
Ritwik Ghatak

Le son au cinéma
Ritwik Ghatak

Le documentaire : la plus passionnante des formes cinématographiques
Ritwik Ghatak

Deux aspects du cinéma
Ritwik Ghatak

Satyajit Ray, le seul et unique
Ritwik Ghatak

Histoire et parenté chez Ritwik Ghatak
Moinak Biswas

IV – 1972-1976

Une rivière nommée Titas
Advaita Malla-Barman

Le mélodrame est un droit naturel, c’est une forme
Entretien avec Ritwik Ghatak

Sans émerveillement, nul art n’est possible
Entretien avec Ritwik Ghatak

« Je brûle… L ’univers brûle »
Kumar Shahani

Raison, discussions et un conte
Scénario de Ritwik Ghatak

Chronologies :
– Le Bengale dans l’histoire de l’Inde. 1905-1975
– Ritwik Ghatak. 1925-1976
Filmographie
Glossaire

extraits

 

 

voir quelques doubles-pages

 

« Nous sommes nés dans une époque de dupes. Les jours de notre enfance et de notre adolescence ont vu le plein épanouissement du Bengale : Tagore, avec son génie écrasant, au faîte de sa carrière littéraire ; la vigueur renouvelée de la littérature bengalie dans les ?uvres des jeunes écrivains du groupe Kallol ; l’élan national largement relayé dans les écoles, dans les collèges et dans la jeunesse bengalie ; les villages du Bengale débordant de l’espoir d’une vie nouvelle, avec leurs récits, leurs chants et leurs fêtes populaires. Mais, à ce moment-là, la guerre et la famine sont arrivées. La Ligue musulmane et le parti du Congrès ont conduit le pays à sa ruine en le coupant en deux et en acceptant une indépendance dévastatrice. Les émeutes villageoises ont submergé le pays. Les eaux du Gange et de la Padma sont devenues rouges du sang des frères. Telles ont été nos expériences. Nos rêves évanouis. Nous avons chancelé, nous sommes tombés, nous accrochant désespérément à un Bengale misérable et appauvri. Quel Bengale est-ce, où la pauvreté et l’immoralité sont nos compagnes permanentes, où règnent trafiquants du marché noir et politiciens malhonnêtes, où la peur terrible et le chagrin sont l’inévitable destinée de chacun ? Dans les films que j’ai réalisés ces dernières années, je n’ai pas été capable de me départir de ce thème. Il m’a semblé qu’il était urgent de montrer au peuple bengali ce visage misérable, appauvri du Bengale divisé, de lui faire prendre conscience de sa propre existence, de son passé et de son futur.»

Extrait d’un récit autobiographique non daté.

 

« Les jours de mon enfance se sont écoulés sur les rives de la Padma – c’étaient les jours d’un enfant indiscipliné et sauvage. Sur les bateaux, les passagers étaient semblables aux habitants de quelque lointaine planète. Les grands bateaux de transport de marchandises en provenance de Patna, de Bankipore, de Monghyr transportaient des marins qui parlaient une langue étrange dans laquelle se mêlaient différents dialectes. Je pouvais voir les pêcheurs. Dans la bruine, au-dessus du village, flottait une mélodie pleine de joie, qui, portée par un coup de vent soudain, venait toucher le coeur des villageois. J’ai tangué en steamer sur cette rivière turbulente après la tombée de la nuit et j’ai écouté le bruit rythmé des machines, la cloche du sareng, le cri du matelot mesurant la profondeur. Un jour, en automne, je me suis embarqué sur un bateau, j’ai perdu mon chemin au milieu des herbes hautes où se cachent les serpents. Et tandis que je tentais d’en extirper le bateau, le pollen de ces herbes en fleurs m’a fait suffoquer. […] »

Extrait d’un récit autobiographique non daté.

 

 

« Espérons que parmi vous un spectateur vigilant réussira à éveiller la conscience des gens ordinaires en créant un ciné-club ou autre chose ; sinon tant pis, vous méritez votre Battala* et ne vous plaignez pas qu’il n’y ait plus de Rabindranath Tagore aujourd’hui. C’est vous qui avez perdu quelque chose, j’en suis convaincu. Ce ne sont pas les artistes. Ils mettent en danger leur vie privée, leur vie de famille ; cela leur procure une joie insensée, l’occasion d’une méditation intense. Mais, à vous, cela laisse très peu de choses, et bientôt vous n’aurez plus rien. Et pourtant tout est en votre pouvoir. Vous êtes tout-puissants. C’est vous qui avez le dernier mot. Pourquoi ne passez-vous pas à l’attaque ? Allez-y, cognez donc ! Mais laissez-nous vivre, si vous trouvez une raison de nous laisser vivre. Si vous n’en trouvez pas, faites-le savoir par vos cris. Écrivez aux journaux. Rassemblez des foules à chaque carrefour. Hurlez-le dans vos clubs. Une culture bengalie morte se cramponne désespérément aujourd’hui à ce nouveau médium. Pourquoi n’apportez-vous pas la preuve, une fois pour toutes, que vous ne voulez pas de ça, pourquoi ne mettez-vous pas fin à tout ça ? Nous pourrions alors nous lancer dans la réalisation de films à succès avec la conscience tranquille et nous asseoir nus pour tirer sur nos houkas. Il est temps que vous décidiez de quel côté vous êtes. Vous êtes un obstacle, le plus menaçant peut-être. Notre pays a produit le Ramayana et le Mahabharata. La philosophie que nos paysans portent en eux grâce à ces récits est pour ainsi dire unique au monde. Nous aimons notre misère. Nous aimons aussi notre joie : mais nous ne vous lâcherons pas avant d’avoir atteint une certitude totale. Le monde du cinéma vibre de cette certitude que quelque chose va naître. […] »
* Quartier au nord de Calcutta où était imprimée la littérature bon marché.

Extrait de « Une longue série d’obstacles », 1959.

 

 

« La tradition du film musical, notamment celle pratiquée par les cinéastes de Bombay, est une tradition monstrueuse. De plus, c’est une tradition par essence non cinématographique. Mais aussi, mais surtout, elle provient directement de ces formes d’art corrompues, non artistiques et vulgaires que sont les jatras, les nautankis, opéras et autres productions scéniques hybrides. Ces formes ont régné dans notre pays juste avant l’apparition des films parlants.
Ainsi, quand les représentants éduqués de notre bourgeoisie ont eu en mains les outils de la création, ils ont tourné en ridicule cette forme de divertissement et l’ont écartée du champ du cinéma sérieux.
Développement extrêmement logique, que cette mise à l’écart.
Mais le temps est venu d’une nouvelle évaluation. (Je ne parle bien sûr ici que du cinéma bengali.)
Nous sommes désormais en train de prendre lentement conscience de certains faits qui touchent à notre peuple et à notre art.
Nous sommes, par nature, un peuple qui aime la mélodie. Nos émotions s’expriment toutes dans des compositions mélodiques qui nous sont propres. Cinq millénaires et plus de développement de notre grande civilisation ont fait pénétrer la musique dans nos âmes.
En outre, nous sommes un peuple épique. Nous aimons nous répandre, nous ne sommes pas très concernés par les intrigues, nous aimons qu’on nous dise et redise les mêmes mythes et légendes. Notre peuple n’est pas très porté sur le « contenu » du récit, mais sur le « pourquoi » et le « comment ». C’est cela, l’attitude épique.
Ainsi les formes élémentaires de la culture populaire – ces mêmes formes qui, récemment, au moment où se sont produits des bouleversements sociaux et politiques dévastateurs et qui ont marqué l’époque, ont fait l’objet de vulgarisations, et qu’à ses débuts le cinéma a singées pour les expurger ensuite – ces formes donc sont toujours éclectiques, elles ont des airs de reconstitution historique, elles sont kaléidoscopiques, paysannes, relâchées, discursives, elles procèdent par digressions et leur contenu est parfaitement connu depuis des millénaires. Et toujours la musique a occupé une place décisive dans ces formes.

Extrait de « La musique dans le cinéma indien et l’approche épique », 1963.

 

Il est du devoir de tout artiste de préserver sa capacité d’émerveillement, de demeurer vigilant intérieurement et vierge éternellement. Sans cette faculté, il lui sera impossible d’accomplir de grandes choses. Le subtil secret qui se cache derrière tout acte de création consiste en somme à arrêter son regard sur toute chose, à le fixer dans un émerveillement silencieux, à se laisser éblouir par quelque objet passager ou à s’abandonner à la plénitude du plaisir, puis, longtemps après, la tranquillité venue, à extirper ce sentiment intime du grenier de son esprit, à le parer et à lui insuffler la vie.
D’une manière ou d’une autre, tout artiste réussit à transporter avec lui son enfance, il la garde cachée dans sa poche jusqu’à l’âge adulte. Sitôt qu’elle lui échappe, il n’est plus qu’un vieux croûton ; il cesse d’être un artiste et devient un théoricien. Cette enfance est un état mental extrêmement fragile, un état de repli sur soi, à la manière de ces plantes farouches et délicates qui se fanent au moindre contact. Au contact grossier du quotidien, l’enfance se délite, se flétrit et perd sa sève.
Tout artiste a forcément connu cette expérience. »

Extrait de « Deux aspects du cinéma », 1969.

analyses

 

 

Le Grand Temps de Ritwik Ghatak 
Sandra Alvarez de Toledo

Dans Ajantrik (1957), l’un des plus beaux films de Ritwik Ghatak, Bimal, chauffeur de taxi, charge sur ses épaules des rochers puis les décharge dans le coffre de Jagaddal, sa vieille Chevrolet 1920, le seul être qu’il aime au monde.
Ils sont sur une route en lacets, dans les collines boisées du Bihar. Jagaddal a calé. Le visage de Bimal égaré par la colère s’encadre dans le pare-brise.
Il s’adresse à elle (la Chevrolet peut à peine répondre ; elle émet des sons d’intestin pathétiques) :
– Je ne pourrais pas triompher de toi, même après t’avoir tout donné ?
Je vais venir à bout de toi !
– …
– Je t’ai choyée… Maintenant ça suffit !
– …
– Aujourd’hui c’est la fin. Tu vas continuer oui ou non ? Voilà la charge qu’il te faut… Tu ne mérites même pas mon indulgence. Bouge ou je te frappe !
Jagaddal ne réagit pas. Elle descend la route à reculons, en roue libre, et s’arrête définitivement. Bimal sanglote de rage.

Ajantrik est le deuxième film de Ghatak, présenté au Festival de Venise en 1958, remarqué par Georges Sadoul par un entrefilet dans Les Lettres françaises. La fameuse « trilogie de la Partition » (L’Étoile cachée, 1960, Komal gandhar, 1961, Subarnarekha, 1962) et les films suivants ne firent que confirmer le « grief » majeur de Ghatak, le moteur de son imagination et le modèle de la structure formelle de ses films : « Que le temps ne puisse revenir en arrière. » […]

 

Remémorer, remembrer. 1.
Ritwik Ghatak, Kalidasa et Rabindranath Tagore

Sibaji Bandyopadhyay

[…] « Sur la trace de la Voie lactée »* fut publié en 1947, l’année de la partition de l’Inde, l’année où un rêve encore informe prit en charge les formes de la réalité et où l’idée d’exil trouva sa configuration dans des hordes d’êtres humains déplacés. L’option nationaliste, les conséquences immédiates de la Partition sur la main d’œuvre industrielle, la nouvelle orientation prise par l’État du Bengale – autrement dit ce moment de rupture de l’histoire – sont les points sur lesquels viennent s’appuyer tous les exercices de Ghatak en matière de contre-mémoire, la perspective déclarée de toute son activité créative. Il dit : « J’ai cherché à élever ce mot de “déplacé”, à lui donner une valeur générale au-delà de son sens purement géographique.» Ghatak n’a jamais réussi à faire le deuil de la division du Bengale ; il l’a dit et manifesté de toutes les façons et en tous lieux. Il ne pouvait oublier et refusait aux autres le droit d’oublier un événement que beaucoup s’étaient résolus à considérer comme acquis, ou aux yeux de qui en parler ou le déplorer paraissait insensé. Son intense désir de se remémorer a définitivement altéré le sens que deux siècles de colonisation avaient donné au mot « déraciné » et introduit dans son corps le cri de mort des apatrides.

* Il s’agit de la première nouvelle de Ghatak. Reprise dans Ritwik Ghatak, Stories, trad. Rani Ray, New Delhi, Srishti Publishers & Distributors, 2003.

 

L’erreur pathétique (Ajantrik)
Hervé Joubert-Laurencin

[…] Comme Bagalar Banga darshan, Ajantrik joue avec le souvenir de l’origine du cinéma. L’Arrivée d’un train à La Ciotat des frères Lumière est, dans ce film comme dans plusieurs autres de Ghatak, plutôt que classiquement cité, synesthésiquement présent. La forme émotionnelle de la séparation atteint son acmé avec la poursuite du train de la jeune fille mal mariée (on dirait que Bimal veut lui offrir le billet de la première séance payante de cinématographe). Lors de sa première course, Jagaddal envoie dans l’objectif de la caméra une trombe d’eau en passant dans une flaque, ce qui ramène au jeu avec L’Arroseur arrosé, devenu explicite dans le scénario de Bagalar Banga darshan, et qui se conclut avec la bouteille vidée sur la caméra à la fin du dernier film, avec autant d’humour que de violence.
Si Ghatak riait à chaque projection de L’Arrivée d’un train à La Ciotat parce que, disait-il, « une machine regarde une autre machine », alors la Chevrolet d’Ajantrik, appareil photo sur roues, est un avatar portatif du train des Lumière, et la séance de photo, qui voit Bimal incapable de poser en costume de marié auprès de sa bien-aimée Jagaddal (coupant court pour convoyer des jeunes mariés, d’une grande élégance mais dont l’union se révélera, là encore, factice), met face à face, pour le même gag éternellement renouvelé par l’âge des appareils techniques, deux boîtes noires qui ne pourront jamais s’encadrer.

 

« Peu de gens devineront ce qu’il a fallu être triste pour ressusciter Carthage »
Ritwik Ghatak, lecteur de Siegfried Kracauer

Marianne Dautrey

[…] À travers le dialogue que Ghatak a suscité avec Kracauer, une histoire se raconte, une histoire de perte, d’exil, de vies interrompues. L’un et l’autre ont choisi de la raconter et d’en témoigner dans et par un cinéma devenu, pour tous deux, terre d’exil et de spectres. Mais, tandis que Kracauer fait du présent un spectre de lui-même, Ghatak en fait le lieu où les spectres du passé, fussent-ils en cendres, émergent et se confrontent aux vivants. Quand Kracauer tente de faire comparaître, à travers un inventaire, les restes et résidus de cette histoire rassemblés comme en un songe dans l’atemporalité et l’extraterritorialité d’un texte théorique, avant le moment de la perte définitive, Ghatak inscrit son témoignage dans le temps de l’histoire, en tire les conséquences jusque dans le présent de son œuvre, du monde, de la vie, quitte à consumer l’entièreté de ce présent.

 

Le film qu’on accompagne (L’Étoile cachée)
Raymond Bellour

[…] Il n’est pas toujours simple de distinguer la modulation expressive des autres modes d’intervention de la musique, tellement celle-ci est riche, diverse, passant sans discontinuer d’un régime à un autre, à la faveur des moindres variations de l’action, des humeurs et des mouvements des corps, comme des changements de plans, de distances, bref de tout le travail de la figuration. Il y a ainsi bien des moments et des modes intermédiaires. Mais il n’empêche : il y a surtout ces oppositions franches qui font travailler la musique, précisément, comme l’image même, une seconde image.
Il y a dans la musique – plutôt la bande-son – de L’Étoile cachée un mélange subtil et décapant de thèmes populaires, des ragas, retravaillés par le musicien du film, Jyotirindra Maitra. Mais il est clair que leurs effets les plus forts tiennent surtout au mixage effectué tant avec des bruits naturels que créés directement par Ghatak lui-même à l’aide d’objets ou d’instruments – ainsi Bhaskar Chandavarkar décrit l’irruption de Ghatak, ivre, dans un studio d’enregistrement de Pune, s’inventant des réserves de sons «inhabituels » pour un film à venir : « Il souffla dans la flûte indienne pour obtenir un son aigu, comme un coup de sifflet strident, tapa sur trois différentes tablas avec des baguettes, frappa le gong birman, et ainsi de suite pendant un bon moment.»

 

Derrière le miroir (Subarnarekha)
Charles Tesson

[…] Comment reçoit-on physiquement un film comme Subarnarekha ? À la fois comme une caresse et comme une gifle. La mise en scène de Ghatak et l’esthétique de son cinéma font corps avec le personnage d’Iswar, celui qui a décidé de rompre toute attache. Stylistiquement, le film avance à travers cette contradiction : installer une scène et la déstabiliser de l’intérieur par l’enchaînement des plans, inscrivant ici dans la chair des images la pulsion motrice (construire, détruire) qui guide les personnages. Cette esthétique de la déstabilisation se fait à l’intérieur du plan (l’entrée de champ des personnages au premier plan qui fait basculer ou rompt l’ordonnancement de la composition) et le plus souvent dans l’intervalle entre les plans. Dans Subarnarekha, un peu comme chez Mizoguchi, il est difficile de prévoir d’où va partir le plan suivant (changement d’angle de prise de vue) à la lueur des indices de placement (caméra et personnages) fournis par celui que l’on regarde. La simple idée qu’un changement de plan prolonge l’espace et le construit ne va pas de soi, puisqu’on a au contraire le sentiment que chaque passage est une entorse – on le reçoit physiquement ainsi – à l’agencement vraisemblable de l’espace, ce en quoi il exprime la nature du personnage qui, pour choisir systématiquement l’avancée en ligne droite, est soit appelé à dérailler (on déjante plus qu’on ne déchante), soit condamné à avancer par à-coups, en procédant à de brusques et continuelles bifurcations. Cette métaphore de la mise en plans (en mur de pierre bancal sans le ciment du regard pour le faire tenir) recoupe la matière des images dans la mesure où il n’y a pas de paysages au sens où il y en a chez Ray, toujours saisis par le filtre de la subjectivité d’un personnage, entre perception et sensation. L’image n’est pas un paysage pour Ghatak mais avant toute chose un plan de matière, et le corps humain, le visage (de face, de profil), est une plaque tectonique que la caméra décape, arrache au cauchemar géologique dont il est issu. Il y a dans Subarnarekha une géographie des sentiments qui trouve son écho dans la matière du monde, que ce soit la douleur, associée aux matériaux durs (la pierre, la rocaille, la dalle de ciment déserte quand Sita chante sa tristesse d’être séparée de l’homme qu’elle aime), ou le bonheur qui compose avec une matière plus souple (sable, eau), plus tendre, comme la terre et le bois dans la magnifique scène de la forêt, entièrement construite sur le dialogue disjoint des dos, l’érotisme de la nuque, bien avant Godard, bien avant les Straub.

 

Laissons parler les chansons
Moinak Biswas

[…] La tentative historique de l’IPTA (Indian People’s Theatre Association) de lier politique de masse et arts populaires, entraîna une remarquable efflorescence musicale dans les années 1950 et 1960. Ouvriers et paysans apportèrent leur musique traditionnelle aux conférences, qui se tenaient dans l’Inde entière, à Bombay, Calcutta, Allahabad, Guwahati. Certains composèrent même de nouveaux mass songs. Parmi les compositeurs et chanteurs de premier plan – Anna Bhau Sathe, Omar Sheik, Dasrath Lal, Ramesh Shil, Sanatan Mandal –, beaucoup étaient ouvriers ou paysans. Lors de ces rencontres, ils découvraient des formes populaires venues du pays tout entier, et une inépuisable diversité de mélodies et d’idiomes. La confrontation eut pour conséquence des tentatives parfois réussies de réinterprétation de la tradition par les artistes, enjeu crucial de la politique culturelle. L’industrie cinématographique de Bombay, occupée à élaborer un nouveau modèle de cinéma populaire, bénéficia significativement de l’arrivée d’artistes issus de l’IPTA. Ce phénomène joua un rôle important dans le bouleversement des genres, dans le jeu des acteurs, dans les dialogues, dans les thèmes et, peut-être plus durablement encore, dans l’apparition d’un nouveau type de musique de film.

 

Je brûle… L’univers brûle
Kumar Shahani

[…] Ghatak ne se cache pas derrière un passé mort ou médiéval ou derrière une indianité décorative. Il ne se contente pas plus des traditions critiques romanesques du XXe siècle, qui vont du romantisme aux frénésies iconoclastes d’un genre fondamentalement anarchiste. Rares sont ses contemporains qui ont évité ces écueils, dans le monde du cinéma comme ailleurs, dans les domaines théoriques et culturels. Les réactionnaires exaltent le passé en termes décoratifs et théologiques, les modernes rejettent tradition et histoire pour priver le contemporain de son sens. Les problèmes de sous-développement les ont amenés à se civiliser tantôt à travers le nationalisme, tantôt à travers un système de référence radicalement étranger. Comme s’ils avaient honte d’être ce qu’ils sont aujourd’hui, avec leur vraie histoire. J’espère que les jeunes gens qui commencent à rendre à Ghatak l’amour qu’il leur portait n’éprouveront, vis-à-vis de ce qu’ils sont et de leur société, ni honte ni arrogance mais qu’ils sauront faire face à l’obscurité qui les entoure avec la même éclatante agilité. Je me souviens de lui quand il arpentait les couloirs du Film Institute et que nous nous adressions à lui comme au tigre du poème de Blake, qu’il aimait citer. Dans Raison, discussions et un conte, il semble lui aussi s’en être souvenu, en en déviant légèrement le sens : « Je brûle, tout le monde brûle… l’univers brûle… »

auteur

 

Ritwik Ghatak

 

Chronologie abrégée
(la version longue est publiée dans le livre)

1925

• Naissance à Jindabazar, Dhaka, Bengale (aujourd’hui Bangladesh) le 4 novembre. Ritwik et sa sœur jumelle, Prateeti, sont les benjamins d’une fratrie de neuf enfants. Le père, Rai Bahadur Suresh Chandra Ghatak est magistrat ; il a fait ses études en Angleterre et étudie le sanskrit, qu’il enseigne à Ritwik. L’aîné des frères, Manish, sera membre du « Kallol Group » (La Vague déferlante) – courant de jeunes écrivains fondé en 1923 – qui introduit  le réalisme dans la littérature bengalie. [Chef de file : Manik Banerjee.]

1935
• Sudhish, un autre frère de Ritwik, revient d’Angleterre où il a travaillé pendant six ans comme cameraman. De retour en Inde, il travaille pour les studios New Theatres (Calcutta) ; les cinéastes Bimal Roy et Pramatesh Barua  deviennent des habitués de la maison Ghatak.
• L’enfance de Ghatak est marquée par une relation profonde, symbiotique, avec la nature et par sa lecture de l’œuvre de Rabindranath Tagore.

1939
• Ghatak s’enfuit de chez lui (il a quatorze ans). Comme sanction de sa fugue, son frère Manish l’envoie travailler pendant deux ans dans une usine textile de Kanpur ( dans l’état d’Uttar Pradesh). Il y passe deux ans (1940-1941).

 1941
• Mort de Rabindranath Tagore en août.
• Début des bombardements japonais sur le Bengale.

 1942
• Gandhi lance le mouvement Quit India. Calcutta évacuée est bombardée par les japonais le 20 décembre.
• Ghatak est de retour à Rajshahi (actuellement à la frontière du Bengale oriental et du Bangladesh), chez ses parents.
• L’Indian People’s Theatre Association (IPTA) s’émancipe de la Progressive Writers Association. En font partie : Uday Shankar, Ravi Shankar, Balraj Sahani, K.A Abbas, Shambhu Mitra, Bijan Bhattacharya, Salil Chaudhury. Le groupe adapte et traduit des pièces russes et chinoises. De jeunes auteurs produisent leurs pièces en y incorporant le répertoire de chansons populaires, de danses et formes théâtrales régionales.

 1943-1944
• Après une série de défaites en Asie du Sud, et dans l’espoir de stopper la progression des Japonais, l’armée britannique détruit l’ensemble des bateaux qui alimentaient en riz les villages bengalis via un réseau serré de voies de navigation à l’intérieur du pays. S’ensuit un afflux d’habitants en direction de Calcutta et une famine qui décime de 1,5 à 3 millions de personnes.

 1944 -1946
• Ghatak a achevé ses études secondaires à Rajshahi. Il obtient l’Intermediate Examination in Arts à l’université de Dhaka en 1946.
• 1945-1946 : en réponse à la famine et à la répression par les Britanniques du mouvement Quit India, des révoltes éclatent à Calcutta. Le soulèvement de novembre 1945 contre les procès des prisonniers de l’INA (Armée nationale indienne) rassemble les étudiants de tous les partis, le Congrès, les communistes et la Ligue musulmane.
• En 1946, K.A Abbas (1914-1987) réalise Dharti Ke Lal (Les Enfants de la terre), qui décrit les conséquences de la famine de 1942. Le film est considéré comme étant à l’origine du courant réaliste et social. Il est co-écrit avec Bijan Bhattacharya.

1947-1948
• Août 1947 Proclamation de l’indépendance de l’Inde et du Pakistan. Partition du Bengale.
• Au cours de sa première année de maîtrise, Ghatak publie et dirige – avec Nirmal Dutta et Samaresh Lahiri – la revue Abhidhara (Au fil du courant) qu’il décrit dans un entretien comme « proche des marxistes » Elle dure quelques mois, financée sur les ressources personnelles des membres de la revue.
• Après la partition du Bengale, Ghatak quitte le Bengale pour Calcutta. Il est diplômé de la Faculté Krishnachandra, à Bahrampur en 1948 et s’inscrit à l’Université de Calcutta.
• Sa première nouvelle, « Akash Gangar Sroty Dhorey » (« On the trail of the Milky Way ») paraît dans la revue Galpabharati, publiée par l’écrivain Nripendrakrishna Chattopadhyay qui salue à l’occasion un « jeune écrivain de talent » (a powerful young writer).
• En janvier 1948, assassinat de Gandhi.
• Ghatak est actif au sein de l’IPTA et du Parti communiste Indien (PCI).
• Il écrit sa première pièce de théâtre, Kalo Sayar (Le lac sombre) et joue dans la reprise de Nabanna (La Récolte nouvelle), qui renouvela le théâtre indien de l’époque (Bijan Bhattacharya, l’auteur de la pièce – et futur acteur de nombreux films de Ghatak – en assure la première mise en scène en 1944, avec Sombhu Mitra). La mise en scène de la reprise est assurée par « Bohurupee », compagnie de théâtre expérimental. Les premières représentations ont lieu les 13 , 14 , et 16 septembre 1948. Environ 7000 personnes assistent à chaque représentation.
• Ghatak devient membre à part entière de l’IPTA et prend la direction de la brigade (squad) centrale.
• En 1947, Chidananda Das Gupta (critique de cinéma indien) et Satyajit Ray créent la Calcutta Film Society, qui fait connaître le cinéma européen et soviétique. Dès 1948, Ghatak et d’autres jeunes cinéastes, comme Mrinal Sen, se retrouvent au Paradise Café pour discuter de cinéma. Ghatak convainc les membres du groupe de fonder un syndicat pour les ouvriers et techniciens sous-payés des studios de Calcutta.
• L’IPTA étend ses activités de théâtre militant au cinéma.

1949
• Ghatak se procure les textes d’Eisenstein, Pudovkin, Kracauer, Paul Rotha, et les étudie. Influence de ces textes sur les réalisateurs indiens de l’époque.
• Il commence sa carrière cinématographique en assistant Manoj Bhattacharya à l’écriture du scénario et à la réalisation de son film Tathapi (Malgré tout). Bimal Roy et Hrishikesh Mukherjee sont respectivement opérateur et monteur sur le film.
• Jean Renoir tourne Le Fleuve en 1949-1950 sur les bords du Gange, aux environs de Calcutta. Renoir et Ghatak ne se rencontrent pas.

1950
• Avec Mrinal Sen et Tapas Sen, il produit une nouvelle version de Neeldarpan (Le Miroir indigo), une pièce écrite en 1860 par Dinabandhu Mitra, qui traite de l’oppression des paysans dans les plantations d’indigo au Bengale ; la pièce est réécrite, augmentée et mise en scène collectivement par Bijan Bhattacharya, Sudhi Pradan, et Digindrachandra Bandyopadhyay. Ghatak y joue le rôle d’un vieux paysan.

1951
• Ghatak est très actif au sein de l’IPTA. Il joue dans Kalanka (Disgrâce), écrit et dirigé par Bijan Bhattacharya ; dans Bhanga Bandar (Le port en ruines), écrit par Panu Pal et mis en scène par Utpal Dutt. Il joue également le rôle de l’une des sorcières dans un montage d’extraits de Macbeth en Bengali, mis en scène par Utpal Dutt.
La même année il joue dans le film Chhinnamul (Les Déracinés) réalisé par Nemai Ghosh.
• Il tente d’achever le tournage de Bedeni (entrepris par Nirmal Dey), qu’il renomme Arupkhata (Histoire vraie); il tourne pendant vingt jours dans les environs de Ghatshila et Bolpur, mais le film est à nouveau abandonné.
• Il écrit et met en scène sa pièce la plus importante, Jwala (Flamme) tirée d’un article intitulé « Vague de suicides à Calcutta » publié par lui dans la revue du Parti Communiste. Il y joue le rôle d’un vieil homme.
• Le Comité provincial pour l’élaboration d’un projet (Provincial Draft preparatory committee) de l’IPTA demande à Ghatak de rédiger un document qui traite de l’idéologie politique et culturelle de l’IPTA au Bengale occidental.

1952
• Le premier Festival International du Film est un événement majeur. Il se déroule en Inde dans trois villes, dont Calcutta. Le public indien découvre le néo-réalisme italien, le cinéma japonais et soviétique. Ghatak rencontre les cinéastes de la délégation russe, Pudovkin et Cherkasov.
• Il adapte à la scène pour l’IPTA The Government Inspector as Officer de Gogol, produit et mis en scène par Utpal Dutt. Il joue le rôle de Raghupati dans Visarjan (Le Sacrifice) de Rabindranath Tagore, également mis en scène par Utpal Dutt.

 1953
• Il écrit et met en scène Dalil (Le document) pour l’IPTA, représentée pour la première fois dans le cadre d’une Conférence d’enseignants au Park Hazra au sud de Calcutta ; Kali Banerjee (l’acteur d’Ajantrik) fait partie de la distribution, ainsi que Ghatak lui-même (qui joue le personnage de Khet Gosh). Dalil est également représentée au cours de la Conférence nationale de l’IPTA à Bombay en 1953 ; le spectacle est élu meilleure production  du festival.
• Ghatak participe à une série de spectacles de rue organisés pour le soutien de candidats du PCI pour les premières élections générales dans le pays.
• Ghatak produit et réalise son premier long-métrage, Nagarik (Le Citoyen), dans des conditions expérimentales et militantes. Les bobines de Nagarik resteront dans les étagères et le film ne sera diffusé qu’après la mort de Ghatak.

1954
• Ses différends avec la direction de l’IPTA commencent à la suite de la diffusion de « On the cultural front » (co-signataires : Mumtaz Ehmed Khan et Surama Bhattacharya) rédigé par Ghatak et adressé à la direction du PCI.
• Il est exclu de l’IPTA au cours des répétitions de Neecher Mahal, l’adaptation par Umanath Bhattacharya des Bas-fonds de Gorki avec le South squad et d’Ispat, avec le Central squad.

1955-1956
• Le 8 mai 1955 il épouse Surama Bhattacharya à Shillong. Celle-ci sort de prison où elle vient de passer deux ans comme prisonnière politique. Ils se sont rencontrés deux ans plus tôt au sein de l’IPTA.
• Il forme le Group Theatre, pour lequel il écrit et dirige la pièce Sanko (Le Pont) et adapte pour le théâtre Hajabarala (Charabia) de Sukumar Ray (le père de Satyajit, écrivain et poète).
• Il passe un mois dans les collines de Chhotanagpur et différentes régions du Bihar : il réalise deux films documentaires pour le gouvernement du Bihar, Life of the Adivasis, et Historic Places in Bihar
• Ghatak est exclu du parti communiste indien par une lettre du 21 octobre 1955.
• Sortie du premier film de Sayajit Ray adapté du roman de Bibhutibhusan Bandopadhyay, Pather Panchali (La Complainte du sentier).
• Pendant un peu plus d’un an il travaille comme scénariste aux studios Filmistan à Bombay. La non-diffusion de Nagarik et la confrontation avec le monde de l’industrie cinématographique lui donnent un sentiment d’isolement. Il écrit les scénarios de deux films, Madhumati et Musafit qui seront réalisés respectivement par Bimal Roy et Hrishikesh Mukherjee. Il a le projet d’un film de science-fiction avec la collaboration du Laboratoire de physique nucléaire, qui ne se réalise pas.
• Il profite de son séjour à Bombay pour mettre en scène une nouvelle version de Bisjaran, ainsi que Musifaron ke lye (Pour les vagabonds), l’adaptation par Govind Mali des Bas fonds de Gorki pour l’IPTA de Bombay dont la première a lieu le 18 décembre 1956.

1957
• Retour à Calcutta. Le 2 juillet il commence le tournage d’Ajantrik, à Ranchi (Bihar).

 1958
• Ghatak accepte de différer la sortie d’Ajantrik pour permettre celle de Parash Pâthar (La Pierre philosophale), réalisé par Ray. Les deux films sont produits par Pramod Lahiri.
• Ajantrik est présenté à la Mostra de Venise. Georges Sadoul écrit un éloge dans Les Lettres françaises.
• Les prises de vues de Bari Thekey Paliye (Le Fugitif) commencent en novembre.

1959
• Bari Thekey Paliye sort en juillet.
• Le tournage de Kato Ajanare (Tous les inconnus) commence, puis est abandonné.

1960
• Ghatak achève Meghey Dhaka Tara (L’Étoile cachée), qui sort sur les écrans le 14 avril. Le film est un succès, Ghatak investit les gains du film dans le suivant.

1961
• Komal Gandhar (Mi bémol) sort le le 31 mars 1961. L’échec du film, et les violentes critiques de ses ex-camarades de l’IPTA l’affectent énormément. Premiers signes d’addiction à l’alcool.

1962
• Guerre sino-indienne pour le contrôle des territoires himalayens.
• Ghatak entreprend son sixième film, Subarnarekha (La rivière Subarnarekha); des difficultés de tous ordres – dont financières – l’obligent à interrompre le tournage à plusieurs reprises pour trouver des fonds supplémentaires (il réalise des films de publicité, écrit des scénarios pour d’autres). Subarnarekha ne sortira que le 1er octobre 1965, trois ans après le début du tournage.

1963
• Ghatak commence un film sur le musicien Ustad Alauddin Khan, et un long-métrage, Bagalar Bangadarshan (Bagala découvre le Bengale) qui restent tous deux inachevés.

1964-1965
• En 1964, il enseigne à l’Institut Indien de Telévision et Film à Pune, dont il est nommé vice-président en juin 1965. Il participe à la réalisation de deux films d’étudiants, Fear et Rendez-vous.
•Il démissionne du FTII en 1965.
• Premier séjour en hôpital psychiatrique, qui sera suivi d’autres.

1966
• De nouvelles vagues d’arrestations des cadres du PCI(M) ont eu lieu dans l’ouest du Bengale, suite à l’agitation lancée par le parti contre la hausse des tarifs des Tramways de Calcutta et dans le contexte d’une crise alimentaire grave. La grève générale est déclarée et des révoltes ont lieu en août 1965, mars et avril 1966. La grève générale de mars cause plusieurs morts lors d’affrontements avec les forces de police.
• Sa traduction du Cercle de craie caucasien de Bertolt Brecht en bengali paraît dans la revue Gandharba Patrika.

1967
• Création du  mouvement Naxalite le 3 mars 1967 par un groupe de révolutionnaires communistes pro-chinois réunis autour de Charu Mazumdar. Ce jour-là, dans le village de Naxalbari, dans l’État du Bengale Occidental, près de la frontière népalaise, un groupe de 150 sympathisants du CPI (M) attaquent les réserves de riz d’un propriétaire terrien. Suite à une série d’actions, les membres du CPI (M) impliqués sont exclus et forment, le 1er mai 1967, le Communist Party of India (Marxist Leninist) (CPI/ML), dit parti Naxaliste.
• Ghatak tourne un court-métrage documentaire, Scientifics of tomorrow.

1968
• Il fonde une revue de théâtre, Abhinaya Darpan (Miroir du jeu), qui publie de mai-juin 1968 à juillet-aout 1969. 

1969
• Nouveau séjour à l’hôpital psychiatrique de Calcutta. Il y reste 7 mois. Il demande au musicien et musicologue Hemango Biswas (ex-membre de l’IPTA) d’organiser un programme de chansons populaires dans l’hôpital et en tire une pièce, Sei Meye (Cette fille) mise en scène avec les soignants et patients.

1970
• Ghatak réalise The Chhau Dances of Purulia (1970), My Lenin (1970)[1]Why ?/The Question.

1971
• Guerre d’indépendance du Bangladesh.
• Il réalise Durbargati Padma (Le turbulent fleuve Padma), film documentaire de 22 minutes sur la guerre.

1972
• Il entreprend le tournage de Titas Ekti Nadir Nam (La rivière Titash) au Bangladesh, où il retourne pour la première fois depuis 1948. Le film sortira le 27 juillet 1973 au Bangladesh.
• Entre 1972 et 1975 il tourne deux autres documentaires qui restent inachevés, l’un sur Indira Gandhi l’autre sur le sculpteur Ramkinkar Baj.

 1974-1975
• Ghatak tourne Jukti, Takko ar Gappo. (Raison, discussions et un conte).
• Sa dernière pièce, Jwalanta (En flammes), est représentée à Calcutta le 24 août 1975, dans sa mise en scène (la musique est composée par lui).
• Il crée la CUNIC (Cooperative Union of New Indian Cinema), pour soutenir le cinéma indien d’auteur.

 Il meurt le 6 février 1976 à Calcutta. Il a cinquante ans.

 Jukti Takko ar Gappo et Nagarik (son premier film) sortent en salle pour la première fois en septembre 1977, un an et demi après sa mort.

presse

 

Les Cahiers du cinéma, mai 2011. Lire

Ophélie Wiel, Critikat.com, 31 mai 2011. Lire

Émile Breton, L’Humanité, 1er juin 2011. Lire

François Chesnais, Le Monde diplomatique, août 2011. Lire

François Albera, 1895, 2011. Lire