Description
Ce livre est la première monographie consacrée à Anne-Marie Schneider. Ses premiers dessins datent de la fin des années 1980. Avec le temps, et une exigence accordée à la connaissance – historique et technique – de l’art qui est la sienne, elle aborde la peinture et le cinéma (expérimental), sans jamais abandonner le vocabulaire primordial du trait. L’œuvre est assez forte pour tenir toute seule, comme en témoigne le défilé continu (et chronologique) de 230 dessins, tableaux et photogrammes. Artiste aiguë, spirituelle, parfois visionnaire, elle livre ainsi des images dont la source d’inspiration se partage entre une intimité sans complaisance, anatomique (le rendu du « schéma corporel ») plus que psychologique, et l’appel de l’« extérieur » sous la forme de références à l’actualité ou, de manière moins explicite, à la littérature. Le goût du jeu et de la fable, l’ironie et la perception vive du moindre événement la prédisposent à des juxtapositions improbables dont les quatre films (édités dans le DVD qui accompagne le livre) rendent compte par le montage et la création de toutes pièces de la bande son (Anne-Marie Schneider est violoniste de formation). La séquence d’images est suivie d’un texte de Jean-François Chevrier qui déchiffre sans l’interpréter une œuvre secrète, complexe, virtuose sans en avoir l’air, en mettant l’accent sur ses références à l’histoire de l’art, à la littérature ou à la psychanalyse, et en faisant entendre les multiples voix qui la hantent, sa forme polyphonique.
Anne-Marie Schneider, le livre, accompagne une rétrospective de l’artiste au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, du 15 novembre 2017 au 20 mars 2017.
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L’enjeu de cette monographie (qui reproduit plus de 230 images et inclut un DVD avec quatre films) est de saluer le parcours d’une artiste et de rendre sensible l’élaboration rigoureuse qui l’a conduite à passer du dessin à la peinture, de la ligne à l’aplat, du noir à la couleur, du support de la feuille à celui du film, sans toutefois jamais abandonner le dessin ; le dessin, ou, pour mieux dire, le trait, geste dont il lui arrive de parler comme d’une « écriture ».
Pendant les années 1990, en effet, Anne-Marie Schneider dessine exclusivement : sur des feuilles d’un format toujours identique, 36 x 31,5cm ; au crayon, au fusain, ou à l’encre de Chine. La force de ces dessins, qui leur vient de la tension entre l’économie du trait et la complexité du niveau de perception de la réalité, lui vaut une attention internationale immédiate. Elle expose à la Documenta X (1997) une série de dessins inspirés par l’expulsion de trois cents étrangers de l’église Saint-Bernard à Paris ; ces « choses vues » (dans la réalité et dans les médias) associent la description documentaire et l’expression d’une violence physique rendue par la capacité de l’artiste à intérioriser ce que les psychiatres appellent le « schéma corporel ».
Cette capacité lui permet de produire, dans un autre registre, celui de l’intimité, et parfois en quelques traits, l’image vécue d’un corps vivant, en mouvement, et spatialisé. Ce type de dessin scande l’ensemble de son œuvre. Aucun pathos n’accompagne ce fascinant exercice qu’est la restitution du dynamisme d’un corps (avec os, muscles, tendons, articulations, non représentés). Du moins jusque dans les années 2010, le burlesque – cette « mécanique du vivant » – cohabite avec le versant sombre de l’imagination. Anne-Marie Schneider est une artiste spirituelle, elle a de l’humour et le goût du jeu. Jeux de situations, jeux d’associations, jeux de langage. « Le roi prend la reine » dit-elle à propos d’un jeu de cartes qui fait sortir le roi de son cadre pour toucher le sein de la reine. La différence sexuelle n’est pas thématisée, elle est là, sous la forme de scènes érotiques suggestives, de phallus en majesté, de seins-globes, de femmes enceintes et d’embryons dans les limbes.
À partir de 1999, la peinture apparaît sous la forme d’aplats monochromes, à la gouache ou à l’aquarelle – sans doute dérivés des zones homogènes de fusain noir. Ces aplats sont légers, translucides, tantôt striés de lignes noires (peut-être pour assurer la permanence du trait), tantôt enveloppants comme une mandorle dont le contour continue d’être souligné à l’encre de Chine. Au début des années 2000, elle adopte de plus grands formats (50x37cm) ; dès 2002/2003 apparaissent les premiers tableaux dans lesquels la peinture prend en charge non plus seulement l’aplat de couleur mais le dessin lui-même. Jusque-là le motif (une icône russe, un citron, un visage) était resté centré, entouré du blanc du papier.
Elle utilise pour la première fois la toile et l’huile en 2008/2009, pour l’extraordinaire ensemble inspiré par La Belle et la Bête. De légère qu’elle était, la peinture devient épaisse, mouvementée, couvrante, elle envahit l’ensemble de la surface. Les figures sont grotesques ; l’artiste prend délibérément le risque du kitsch et propose une version criante et criarde, populaire, polychrome, du conte élégamment illustré en noir et blanc par Cocteau. De 2010 à 2015, elle cherche d’autres solutions picturales. La rue revient, sous la forme d’épisodes d’actualité (CRS, réfugiés, cartons, valises) vécus et rêvés par des personnages énigmatiques au sexe indéfini. Puis des couleurs précises apparaissent : un certain bleu par exemple, vif, qui lui inspire une série d’œuvres-montages dont le plus accompli est sans doute La Mer bleue (un ensemble de gouaches formant un espace réminiscent et cosmique, distribuées autour d’un corps mort allongé) ; ou un noir opaque qui donne lieu à une série de variations sur L’Atalante de Jean Vigo, sur fond d’hommage à René Daniëls.
Le montage est inscrit dans le dessin dès le départ sous la forme du mouvement (qui agite intérieurement la figure) et du récit ; très vite Anne-Marie Schneider se donne la possibilité de multiplier les images, de les développer en séquences. Dès 1997, on l’a dit, elle décline en plusieurs dessins le thème des sans-papiers expulsés de l’église Saint-Bernard. En 2005 elle exécute Vertige d’amour, un mur de 69 dessins érotiques au fusain. Après La Belle et la bête (2009), elle produit des diptyques, des triptyques, des frises, des polyptiques (La Mer bleue), des variations sur le thème du visage-masque ou des jeux d’enfants. L’Alice de Lewis Carroll devrait être le thème d’un prochain ensemble.
La monographie reproduit amplement les œuvres (une par page sauf dans le cas des montages), et aménage des ruptures, des changements de rythme et d’échelle indispensables, en jouant de ces séquences et séries. En ce sens l’ouvrage n’est pas une monographie classique mais un épais cahier d’images, un recueil d’œuvres que leur force visuelle et leur diversité font tenir « toutes seules ». Il s’agit d’un livre pensé, sensible, vif, un objet qui se distingue par le travail sur les articulations de l’œuvre dans le temps, par une mise en page sans effets qui rend visibles les rapports des œuvres entre elles, par une qualité de reproduction qui matérialise en particulier la virtuosité et la subtilité de l’exécution du dessin qui, au travers de la peinture, demeure.
Anne-Marie Schneider est l’auteur de quatre films courts qui s’apparentent au genre « expérimental ». Réalisés en super 8mm (et montés en vidéo) entre 2000 et 2007, ils associent deux registres : celui de la prise de vues de scènes saisies dans la réalité quotidienne et de séquences d’animation mises en œuvre avec ses propres dessins. Tous ont en commun un remarquable travail de montage qui juxtapose des scènes et des temps d’animation à la manière d’associations libres, un sens du burlesque chaplinesque et une invention sonore (bruits, paroles et musique) qui complète et confirme la matérialité – et le lyrisme – de son univers graphique, ainsi que son talent de musicienne. Un DVD des 4 films est inséré à la fin de l’ouvrage.
L’ouvrage est accompagné d’un texte de Jean-François Chevrier, qui a suivi pas à pas, de visite d’atelier en expositions, l’ensemble du parcours de l’artiste depuis 1989. Son enseignement à l’école des beaux-arts de Paris fut un point de repère important, où elle a pu notamment voir et entendre parler d’artistes avec lesquels elle entretient de fortes affinités (Henri Matisse, Philippe Guston, Louise Bourgeois, René Daniëls, Sylvia Bächli, pour n’en citer que quelques-uns). Son essai explicite à la fois l’œuvre et les partis pris éditoriaux du livre. Sa connaissance intime de l’ensemble de la production de l’artiste, des références explicites ou chiffrées qu’elle mobilise dans ses images – dans le domaine de l’art ou de la littérature –, son attention particulière à la psychanalyse et aux mécanismes psychiques investis dans des compositions cryptées (rappelons qu’il est l’auteur, à L’Arachnéen, d’un ouvrage intitulé L’Hallucination artistique), font d’un tel texte un outil indispensable d’appréciation, de contextualisation et de déchiffrement de l’œuvre de cette artiste.