20,00 

Avec des photographies de Ahlam Shibli,
Lewis Hine,
Florian Fouché, Jeff Wall,
Antonios Loupassis & Marc Pataut

216 pages, 48 images (couleur)
format : 21,5×13,5 cm
couverture souple, rabats

ISBN : 978-2-37367-011-0
date de parution : 4 mai 2017

 

Bertrand Ogilvie

Le travail à mort
Au temps du capitalisme absolu

Description

 

« Ce livre témoigne d’une réflexion menée pendant une dizaine d’années sur le travail. Il porte la trace d’un déplacement d’accent qui ne devait pas être effacé : l’hésitation qu’il recèle est en elle-même un enjeu. En effet, passer d’une reconnaissance de la dimension émancipatrice du travail comme lieu de désobéissance possible à l’accentuation de son lien à la mort, au négatif, présent dès le départ mais qui l’emporte de plus en plus dans le contexte néolibéral, ce n’est pas changer d’avis sur la signification de la dimension laborieuse de l’existence sociale, mais accepter qu’elle soit le lieu d’une contradiction pour l’instant insoluble. Au lieu d’opposer les deux libérations du travail, celle où le travail se libère et celle où l’on s’en libère, il faut sans doute essayer de penser comment on ne peut se libérer du travail qu’en le libérant. La question cruciale est de savoir laquelle des deux libérations domine l’autre, ou laquelle s’effectue sous domination de l’autre. Disons que l’orientation de ces réflexions penche plutôt vers l’idée que, dans le contexte d’une lutte politique, la libération du travail, sa réorganisation, ne devrait se faire que dans la perspective de son abolition, mais que cette abolition ne peut s’amorcer que sur la base de sa réorganisation (ou de sa désorganisation…). Par ailleurs, les destructions à l’œuvre dans le monde du travail ne peuvent aucunement être confondues avec l’abolition du travail, elles en constituent plutôt une métamorphose qui déploie au maximum sa négativité, et qui renforce le travail tout en le dépassant. Souligner cette perspective, c’est faire apparaître du même coup d’autres orientations, dans lesquelles son dépassement pourrait œuvrer au contraire à son abolition. »
(Bertrand Ogilvie)

Une ambiguïté fondamentale affecte les débats sur le travail. Elle réside dans la confusion même du terme de travail, qui en est venu à désigner des réalités complètement différentes à partir de la révolution politico-industrielle du XIXe siècle européen et de la généralisation de ses procédures d’organisation des activités humaines, d’abord en Europe, puis peu à peu, dans le reste du monde.

Pour certains le travail semble être le destin inévitable de tout être humain entrant, à l’âge adulte, dans la vie active. Il semble être ce dont le manque prive la vie de tout sens et de tout avenir. Pour d’autres il est une malédiction vouant la majorité des populations à une existence de servitude physique et mentale proche d’un esclavage. Pour tous, le travail s’impose comme une réalité donnée qu’on glorifie comme un idéal ou qu’on déprécie comme une plaie, mais dont on ne conteste pas l’existence.

Ce livre n’annonce pas la « fin du travail », bien au contraire. Même si l’on considère comme éminemment souhaitable la fin de ce qui, dans ce qu’on appelle « travail », représente une dimension profondément destructrice pour l’existence humaine, il n’y a pas lieu de se dissimuler le caractère improbable de cet avènement à court ou moyen terme. En attendant, il s’agit de remarquer les mutations contemporaines qui permettent au travail de se survivre à lui-même et de s’efforcer de leur donner un nom. Ce livre se veut donc une réflexion tant philosophique que philologique sur les noms et sur leurs enjeux. Quand on dit, en français : « Ça n’est pas du travail ! », on veut dire qu’une action de transformation ou une opération n’a pas été à la hauteur de son projet de départ. Or, ce livre essaie de montrer que l’on doit dire cela du travail lui-même : « Le travail, ça n’est pas du travail ! » Il faudra donc comprendre comment les mêmes mots peuvent recouvrir des contenus contraires et comment une critique du travail ne peut, à moins d’être profondément déceptive et démobilisante, aboutir à une réhabilitation de ce même travail.

Ces analyses ne s’inscrivent donc pas particulièrement dans la tradition d’une critique de la valeur travail, mais, afin de contourner les apories de la question « Que faire ? », elles s’efforcent de prendre en compte les résistances concrètes déjà présentes : critiquer le travail revient souvent à se demander comment l’organiser autrement, voire comment revenir à des méthodes d’organisation jugées, avec une nostalgie paradoxale, comme plus acceptables : celles des Trente glorieuses en France par exemple, et plus généralement les modalités de « l’État Providence », ou de « l’État social », telles qu’elles ont été analysées, dans des perspectives différentes, par des auteurs comme Robert Castel ou Christophe Dejours. Même si ces auteurs sont pessimistes à l’égard des potentialités d’inscription dans le réel de leurs analyses, ils n’en délivrent pas moins une description des dimensions anthropologiques inhérentes à ces espaces de jeu présents partout dans l’activité sociale de production et qui en surdéterminent toutes les formes historiques de réalisation : c’est ce qu’on appelle généralement, de manière trop confuse, le « facteur humain ». La phase dans laquelle nous entrons, caractérisée par la domination de la problématique de l’évaluation totale, est révélatrice de la possibilité que ces failles structurelles se creusent ou se referment à nouveau.

Le Travail à mort est composé de textes écrits entre 2005 et 2016. La notion de « centralité du travail », reprise à Christophe Dejours (avec qui l’auteur a entretenu un dialogue étroit), recouvre un large spectre de questions qui touchent à la fois à la philosophie politique, à la sociologie et à la psychanalyse (la forme démocratique, les institutions garantes de la liberté, la subjectivité et la citoyenneté, la clinique, les pathologies sociales, les situations de reconnaissance et de servitude), articulées par l’auteur dans une perspective critique.

Ce recueil paraît quelques mois après les débats sur la Loi Travail, mais aussi au moment où de nombreuses luttes se mènent, dans différentes parties du monde, contre les mutations et radicalisations extrêmes d’un système d’exploitation qui suscitent de nouvelles formes de résistance, en rupture avec les engagements politiques traditionnels. Les questions soulevées par Le Travail à mort sont donc éminemment actuelles, et susceptibles de donner lieu à des débats nombreux dans les champs de la philosophie politique, de l’économie et de la psychanalyse. Ce volume peut être considéré comme une suite de L’Homme jetable (publié par Bertrand Ogilvie en 2012 aux éditions Amsterdam), formule qui a fait écho dans tous les esprits alertés par la condition de l’homme au temps du néolibéralisme.

Le Travail à mort est scandé par des photographies (les auteurs : Ahlam Shibli, Lewis Hine, Florian Fouché, Jeff Wall, Antonios Loupassis & Marc Pataut) qui, dans des contextes différents et selon différentes approches, traitent également du travail. Elles n’illustrent pas plus les textes que ceux-ci ne commentent les images. La cohabitation des deux registres est de l’ordre de la consonance.

sommaire

 

Préface

Travail et démocratie : des frères ennemis

Au cœur du travail : la servitude volontaire

Ahlam Shibli, Dependence

De l’injuste à l’intolérable

Lewis Hine, Child Labor

L’inévaluable

Florian Fouché, Transport en commun (La classe dans le couloir)

Penser la singularité. Le travail du psychanalyste

Jeff Wall, Untangling

Le réel dans l’histoire

Antonios Loupassis & Marc Pataut, La Rue

Conclusion. Du sujet à l’œuvre au sujet au travail

auteur

 

Bertrand Ogilvie est psychanalyste, professeur agrégé de philosophie, professeur des universités, ancien directeur de programme au Collège international de philosophie (2004/2010). Il enseigne depuis 2012 à l’université de Paris 8 Vincennes Saint-Denis la philosophie politique et la psychanalyse, où il assume la fonction de directeur du laboratoire d’études et de recherches sur les logiques contemporaines de la philosophie et la responsabilité du master de philosophie.

Il a participé à la fondation du Centre international de recherche sur la philosophie française contemporaine de l’ENS/Ulm (Ciepfc) avec Alain Badiou, Yves Duroux et Patrice Maniglier. Il a publié un livre sur Lacan (Lacan. La formation du concept de sujet) aux Presses universitaires de France et deux livres de philosophie politique et d’anthropologie : L’Homme jetable aux Éditions Amsterdam et La Seconde Nature du politique à l’Harmattan. Il a écrit des articles pour Les Temps modernesCritiqueMultitude, ainsi que pour les revues Vacarme et Le Passant ordinaire. Il travaille principalement sur les rapports entre psychanalyse et politique, sur la violence contemporaine et spécifiquement sur les formes exterministes adoptées par les politiques du XXe siècle.

Aux éditions L’Arachnéen, il a écrit dans plusieurs publications liées à l’œuvre de Fernand Deligny : « Au-delà du malaise dans la civilisation. Une anthropologie de l’altérité infinie » dans les Œuvres (2007), « Vivre entre les lignes » dans L’Arachnéen et autres textes (2008), et la postface de Cartes et lignes d’erre. Traces du réseau de Fernand Deligny. 1969-1979 (2013).

presse

 

Marianne Dautrey, « Se tuer à la tâche ou s’en libérer », Le Monde des livres, 15/06/2017.
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Livres associés à l’auteur :

Cartes et lignes d’erre

collectif
2013