Description
« Coréennes doit s’entendre ici au sens de Gnossiennes ou Provinciales c’est-à-dire “pièces d’inspiration coréenne”. On y trouvera, outre les dames de Corée (qui à elles seules vaudraient plus d’un court-métrage), des tortues qui rient, des géants qui pleurent, un légume qui rend immortel, trois petites filles changées en astres, un ours médecin, un chien qui mange la lune, un tambour qui fait danser les tigres, plusieurs chouettes, et sur ce décor immortel un pays anéanti hier par la guerre, qui repousse “à la vitesse d’une plante au cinéma” entre Marx et les fées. Vous apprendrez encore que les Coréens ont inventé l’imprimerie avant Gutenberg, le cuirassé avant Potemkine et la Grande Garabagne avant Michaux, dans ce “court-métrage” où l’on souhaite voir apparaître un genre distinct de l’album et du reportage, qu’on appellerait faute de mieux ciné-essai comme il y a des ciné-romans – à une seule réserve près, mais d’importance : les personnages ne s’y expriment pas encore par de polis phylactères en forme de nuage, comme dans les comics. Mais il faut savoir attendre… »
(Chris Marker, quatrième de couverture)
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En mai 1958, le parti communiste français organise un voyage en République populaire de Corée à l’attention de quelques intellectuels et artistes, parmi lesquels Armand Gatti, Claude Lanzmann, et Chris Marker. La guerre de Corée s’est achevée le 27 juillet 1953. On estime le nombre de morts, militaires et civils confondus, à près de 4 millions.
Chris Marker découvre un pays détruit et diabolisé dans l’esprit occidental et le contexte de la guerre froide comme faisant partie du bloc communiste, à l’époque encore unifié. Mais Coréennes ne relève pas plus que l’ensemble de son œuvre d’une pensée idéologique. C’est l’objet de ce livre d’images (environ 130 photographies, sans compter les gravures, cartes, planches de BD, accompagnées d’une trentaine de pages de texte) que de ressaisir le présent de la « Corée du nord » dans une histoire longue, celle de la culture, des traditions, de la beauté et de la force d’un pays attelé à sa reconstruction ; en rappelant que c’est aux Coréens qu’on doit l’invention du « cuirassé au XVIe siècle […], des caractères mobiles d’imprimerie, et de la gravure sur bois, première encyclopédie nationale, premier observatoire astronomique… ».
Coréennes est, au sens le plus fort du terme, un essai photographique. La référence au cinéma (le livre a paru dans une collection « court-métrage » – qui n’eut pas de suite) attire l’attention sur la mise en page (réalisée par Marker), avec ses blancs, ses ruptures d’échelle, ses titres typographiés et ses blocs de texte. Les chapitres n’indiquent aucun contenu thématique, et laissent la relation texte-image se déployer librement, selon un principe d’échos variables. Les photographies s’organisent entre elles par affinités formelles ou par situations (l’extermination, le théâtre, les huit géants de pierre du tombeau de Kong-Min, le « roi-peintre », la fête le dimanche à Wonsan, etc.), comme autant de brefs épisodes vus, vécus et pensés par l’auteur.
C’est ce livre, paru au Seuil en 1959, épuisé et jamais réédité, que L’Arachnéen réédite en fac-similé pour le remettre à la disposition des lecteurs et spectateurs, et rappeler ainsi la place déterminante qu’il occupe dans l’œuvre de Chris Marker.