Description
La publication de la Correspondance des Cévennes, 1968-1996, de Fernand Deligny, complète l’édition de ses Œuvres, parues en 2007 et rééditées en 2017. Cette nouvelle somme propose une sélection d’environ 850 lettres, dont 650 lettres de Deligny adressées à ses interlocuteurs depuis son atelier de Graniers, dans les Cévennes où il a fondé en 1968 un réseau de prise en charge d’enfants autistes. La correspondance, proposée chronologiquement, couvre trente années d’échanges épistolaires avec de grandes figures du monde intellectuel et artistique de l’époque – Louis Althusser, Félix Guattari, Marcel Gauchet, Françoise Dolto, François Truffaut, Chris Marker –, avec ses éditeurs, ou avec d’illustres inconnus, parmi lesquels les membres du réseau ou les parents (les mères surtout) des enfants autistes. Accompagné d’une importante iconographie et d’une conséquente édition critique, ce fort volume témoigne du laboratoire de l’œuvre (le réseau, les livres, les films) en train de se faire ; il confirme, sur le mode tantôt alerte et tantôt grave de la correspondance, les lignes de force de la recherche de Deligny : son intérêt constant pour le cinéma et l’image, ses rapports complexes avec le communisme, sa détermination anthropologique et politique à inventer des formes de vie répondant à d’autres lois que celles de « l’homme-que-nous-sommes ».
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La Correspondance des Cévennes porte sur les années durant lesquelles Fernand Deligny a vécu avec des enfants autistes et élaboré sa recherche sur le mode d’être « hors langage », l’humain et l’image. Les « Cévennes » désignent en réalité le hameau de Graniers, à Monoblet, que Deligny ne quitte pas durant trente ans ; depuis ce point fixe il pense et organise ce qu’il appelle le « réseau ». Les lettres de Deligny (une sélection sur un millier) forment environ les trois quarts de la Correspondance et témoignent du « laboratoire » de l’œuvre en train de se faire.
Les plus nombreuses sont celles échangées avec ses éditeurs : Isaac Joseph en premier lieu, philosophe et maître d’œuvre des livres majeurs de Deligny, Émile Copfermann, directeur de collection chez Maspero puis chez Hachette, et Jean-Michel Chaumont, alors étudiant en philosophie, éditeur de deux de ses ouvrages. La correspondance met également en évidence, sous la forme des échanges avec François Truffaut, Chris Marker, Robert Kramer, et beaucoup d’autres, la constance de la place du cinéma dans la vie du réseau. La teneur des lettres à Louis Althusser (qui lui rend visite au printemps 1977), du dialogue avec le jeune psychiatre communiste Franck Chaumon et des échanges avec Huguette Dumoulin, membre de l’ex-Grande cordée (1947-1962), rappelle à la fois le compagnonnage de Deligny avec le PCF et sa proposition alternative d’un Nous commun et « d’espèce », intuition qui fait de lui l’un des penseurs précurseurs de l’anthropologie politique contemporaine. L’hostilité de Deligny à l’égard de la psychanalyse est en partie démentie par un échange régulier avec des lacaniens ou apparentés, parmi lesquels Françoise Dolto et Jacques Nassif. Deligny écrit également aux membres du réseau, et surtout à Jacques Lin, l’une des chevilles ouvrières du réseau. Il tient en revanche à distance les éducateurs spécialisés qui le sollicitent comme le modèle qu’il s’évertue à ne pas être. L’échange de lettres avec Marcel Gauchet (1982-1983) dénote un malentendu cordial sur le thème du « choix » et de la religion. De nombreuses lettres émouvantes avec les parents des enfants autistes (les mères surtout, Henriette T. et Chantal B., Micheline Beutier) émaillent la correspondance.
La Correspondance des Cévennes s’achève en forme de fugue sereine ; tandis que sa santé décline et qu’il écrit les derniers haïkus de Essi & Copeaux, Deligny fait encore part à Jacques Allaire du projet d’adapter au cinéma une biographie de Ludwig Wittgenstein et entretient une correspondance régulière avec Thierry et Nadèjda Garrel au sujet de son autobiographie sans fin, L’Enfant de citadelle.
La publication des lettres s’accompagne de la reproduction d’environ 175 documents et lettres manuscrites. Cette riche iconographie, qui est l’une des particularités de l’ouvrage, met en évidence la spatialisation de l’écriture de Deligny, le lien entre entre écriture, tracer et image, et rappelle le contexte historique et politique de sa recherche.
Un conséquent travail d’édition critique complète la publication des lettres. L’ouvrage est introduit par l’éditrice et s’achève par une liste des lettres par interlocuteur et par l’énoncé des partis pris éditoriaux.