Description
« Dessine une machine et essaie de montrer non pas seulement à quoi elle sert, mais comment elle fonctionne. Tu ne sais pas ? Alors imagine. » Telle est la proposition que deux artistes, Fanny Béguery et Adrien Malcor, ont faite à des enfants de 4 à 10 ans dans trois écoles primaires de la vallée de la Dordogne, à l’invitation de Peuple et Culture Corrèze.
Enfantillages outillés est un livre de dessins d’enfants et sur le dessin d’enfant. Il comporte deux volets : une partie composée des dessins et photographies réalisées par les enfants pendant l’atelier, accompagnés des paroles des enfants, de leurs dialogues avec les artistes, et de récits et descriptions ; puis un texte, dans lequel Adrien Malcor analyse les enjeux de l’expérience, en mobilisant l’histoire de l’art, la psychologie de l’enfance et la philosophie des techniques. Les généralisations théoriques viennent donc après une tentative pour restituer certains processus créateurs individuels et collectifs. Il s’agit, comme Célestin Freinet en son temps, de porter la richesse de la pensée enfantine dans l’espace public. L’enfant pense, il n’est pas que pensé par les adultes. L’art est « agi » ; il se regarde et s’analyse aussi. Enfantillages outillés présente, à ce titre, une approche renouvelée de l’art des enfants et, peut-être, un regard nécessaire sur notre environnement technique.
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Enfantillages outillés est un livre de dessins d’enfants, comme on dit un livre d’images, à ceci près qu’il montre aussi des écrits, des jeux à la photocopieuse, des photographies et de la gravure. Ces travaux sont issus d’un atelier mené par deux artistes, Fanny Béguery et Adrien Malcor, avec quarante enfants de 4 à 10 ans, élèves à Hautefage, Saint-Martin-la-Méanne et Marcillac-la-Croisille, dans le cadre d’une résidence du groupe RADO organisée par Peuple et Culture Corrèze. Les deux artistes ont proposé aux enfants de s’intéresser aux machines, celles de leur quotidien et celles des grands ensembles hydroélectriques proches de leurs écoles. La relative diversité des outils et pratiques révèle, chez les enfants, une diversité plus grande encore de gestes, de rapports à l’objet, à l’espace, au langage.
Au fil des pages, certains travaux sont accompagnés d’un texte – dialogue, description ou récit –, mêlant les mots de l’enfant qui a dessiné ou photographié, les réactions de ses camarades, et les mots de deux artistes, qui furent leurs interlocuteurs, mais aussi les spectateurs de leurs gestes. Le rôle de ces textes rejoint celui du montage : ils rappellent un élément de contexte ou un événement de l’atelier, soulignent le tour singulier d’une pensée d’enfant, une incohérence amusante ou une cohérence intrigante. Ces textes voudraient provoquer la curiosité du lecteur, son goût du détail, ses ressources de rêverie, et valent moins par leur contenu – ce que l’enfant a voulu faire, ce que nous voulons voir – que par la qualité d’attention dont ils témoignent.
Le livre se conclut par un essai d’Adrien Malcor, intitulé « Le parti pris des ultra-choses », qui replace l’idée et les résultats de l’atelier dans l’histoire de la pédagogie et de la psychologie (Freinet, Piaget, Wallon), de la philosophie des techniques (Simondon), du dessin d’enfant et de l’art moderne (Luquet, Pernoud, Perret, Chevrier, Kandinsky, Klee, Benjamin, Michaux, Beuys…).
Reproduits en couleur et en pleines pages, dans un format à l’italienne, les dessins transmettent directement leur énergie vitale ; le lecteur peut les regarder dans leurs moindres détails et repentirs, dans l’éclat de leurs couleurs, dans les traces noires que les poignets ont laissé traîner sur la feuille. À une période de l’enfance caractérisée par un attrait spécial pour les machines, le dessin ressortit à un « réalisme intellectuel » : l’enfant dessine ce qu’il sait d’un objet plutôt que ce qu’il en voit. La part de l’observation n’en est pas moins essentielle dans l’acquisition du savoir, et l’on devine vite l’intérêt d’une pratique qui combine dessin et photographie. Cette combinaison originale, qui propose de voir des relations entre la prise de vues et le tracé – entre l’enregistrement mécanique, l’ »inconscient de la vue » et le geste – ouvre des questions passionnantes concernant les accroches perceptives et les mécanismes mnésiques des enfants.
Dans le paysage éditorial actuel, on repère trois types de livres sur le dessin d’enfant (et à peu près rien sur la photographie faite par des enfants) : ceux de psychologues ou psychothérapeutes qui font du dessin un indicateur du développement psychophysiologique individuel (beaucoup se focalisent sur le phénomène du « gribouillis » ou du « bonhomme ») ; des recherches d’histoire de l’art sur l’intérêt des avant-gardes pour le dessin d’enfant ; des manuels pédagogiques qui apprennent à faire dessiner les enfants. Enfantillages outillés ne rentre pas dans ces catégories, il est un livre sur le dessin d’enfant et un livre de dessins d’enfants. Nulle idéalisation de la spontanéité enfantine n’habite cet ouvrage, mais une curiosité intellectuelle et sensible pour des formes qui relèvent chez les enfants d’une écologie générale (psychologique, technique et sociale) et, peut-être, de l’art.