32,00 

texte de présentation bilingue (français-anglais)
200 pages, fac-similé
format : 28×21,5 cm

ISBN : 978-2-9541059-2-5
date de parution : 11 avril 2013

 

Jean-Marie J.

Journal de Janmari


avec un texte de présentation de Gisèle Durand-Ruiz

Description

 

Jean-Marie J., dit Janmari, a douze ans lorsque Fernand Deligny décide de créer un réseau d’enfants autistes, « autour » de lui, dans les Cévennes, en 1967. L’enfant est mutique, vif, adroit ; il découvre des sources enfouies, attrape les guêpes par les ailes sans les blesser, habite le hameau de sa présence forte et de ses trajets immuables. À la fin de sa vie, Gisèle Durand, présence proche de Janmari, lui tend un cahier à dessin. Jour après jour, il trace des ronds et des vaguelettes ; le moindre geste ou le moindre son de Gisèle Durand l’incite à varier les formes, à inscrire un cercle, un rectangle, puis à reprendre ses motifs. Ce Journal recueille la trace d’un geste primordial, « d’avant la lettre », la pulsation progressivement affaiblie du rythme de la vie et de la poésie.

 

Jean-Marie J., called Janmari, was twelve when Fernand Deligny decided to create a network of autistic children, in the Cévennes region in 1967. The child was mute, lively, adroit; he discovered buried springs, caught wasps by their wings without hurting them, lived in the hamlet from his powerful presence and unvarying journeys. At the end of his life, Gisèle Durand, a close presence for Janmari, held out a drawing tablet to him. Day after day, he traced circles and wavelets; the least gesture or sound from Gisèle Durand caused him to vary the forms–to sketch a circle, a rectangle–and then resume his own patterns. This Journal is a collection of the traces of a primordial gesture, from “before the letter”, the gradually weakening pulsation of the rhythms of life, and of poetry.

extraits

 

novembre 2001-mai 2002

 

voir quelques doubles-pages

 

Janmari, enfant autiste, mutique, est confié à Fernand Deligny en 1967. Il a douze ans. Il meurt en juin 2002, après avoir vécu trente-cinq ans dans le réseau de prise en charge fondé par Deligny à Monoblet, dans les Cévennes. Dès les premiers temps, Deligny propose à Janmari des feuilles et des crayons : celui-ci trace des lignes brisées, puis des cercles, immuablement. Les séances de tracerdeviennent régulières. Le film de Renaud Victor, Ce Gamin, là, montre Janmari devant un chevalet, traçant vaguelettes et cercles sur de grandes feuilles. 

Gisèle Durand, comme Jacques Lin et d’autres éducateurs non professionnels, vit avec les enfants autistes depuis la création du réseau. En novembre 2001, elle propose à Janmari de tracer sur un carnet à dessin. Jusqu’en mai 2002, ils se retrouvent trois à quatre fois par semaine dans son atelier. 

 

« Le carnet était posé à plat sur la table, ouvert à la page. Je tendais un stylo à bille ou un feutre à Janmari et il commençait une série de vaguelettes ou de cercles. Selon l’endroit où je lui tendais le stylo, il commençait par la page de gauche ou par celle de droite. Je le lui tendais le plus souvent au-dessus de la page de droite. Une fois arrivé dans le bas, il tournait la page de lui-même et continuait sur la page de droite suivante, et ainsi de suite. (Il traçait de la main droite. Il lui arrivait d’utiliser la main gauche, il commençait alors au milieu de la page.) À cette époque il se fatiguait vite, et il lui arrivait de s’arrêter avant la fin de la première page.

Lorsque je traçais une ligne verticale, de haut en bas, Janmari complétait le rectangle en traçant de lui-même les trois autres côtés. Bientôt, je n’avais plus besoin de faire de trait sur la feuille, je ne faisais plus que le geste, en l’air, et il traçait les quatre côtés. Puis il posait le stylo ; je le lui tendais à nouveau et il remplissait le cadre de petits cercles ou de vaguelettes. Nous faisions les « grilles » à deux. J’amorçais en l’air le geste du trait vertical de gauche, Janmari traçait le cadre puis reposait le stylo ; je faisais en l’air le geste du deuxième trait vertical, il le traçait et alignait les autres. Il reposait le stylo avant de reprendre les cercles, de haut en bas, et en respectant les séparations par les traits verticaux.

Je cherchais à diversifier les formes. Lorsqu’il commençait une série de vaguelettes ou de cercles, il m’arrivait de prendre un morceau de graphite et de le poser à plat sur la feuille : Janmari le prenait et traçait un rectangle. Il reposait le graphite, et je lui tendais cette fois le stylo en faisant un claquement de langue : il y réagissait aussitôt en reprenant les cercles (ou les vaguelettes) et en remplissant le rectangle sans dépasser les limites du cadre. Pour ce qui est du cercle en graphite, il fallait souvent que je l’amorce, en l’air. Mais pas toujours : Janmari pouvait le tracer lui-même entièrement.

Le claquement de langue pouvait le faire passer d’un signe à l’autre ; c’est ainsi qu’un jour où il traçait des cercles, j’ai produit ce son et il s’est interrompu pour tracer des vaguelettes jusqu’à l’extrémité droite de la feuille ; puis il a repris les cercles, à gauche, et j’ai refait le son et il a fait des vaguelettes. Au bout d’un moment, il a intégré ce rythme et il a de lui-même enchaîné – parfois avec une certaine peine – cercles et vaguelettes, qui ont fini par former deux colonnes.

Quand il avait achevé une page, il m’arrivait de lui tendre un crayon de couleur : il coloriait les cercles, en commençant et terminant où et quand bon lui semblait. Un jour, je l’ai interrompu alors qu’il traçait des cercles ; j’ai tracé des bandes de couleurs et il a continué les cercles en respectant la délimitation des bandes. Il mettait environ dix minutes ou un quart d’heure à remplir la page. Pendant ce temps, j’allais dessiner un peu plus loin dans l’atelier. Une fois arrivé en bas de la page, il continuait ou attendait que je revienne. Il traçait assis ; mais la position assise lui faisait mal (il était malade à la fin de sa vie) et il s’est mis debout, vers le mois d’avril. Il traçait plus lentement, ses cercles et ses vaguelettes sont devenus plus irréguliers, il perdait de la force. Il est mort un mois après avoir tracé la dernière page. »

Gisèle Durand, décembre 2012

(Tous droits réservés)

in english

 

November, 2001 – May, 2002

 

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Janmari was an autistic, mute child who was entrusted in 1967 to Fernand Deligny at the age of twelve. He died in June 2002 after living for twenty-five years in the care network that Deligny created at Monoblet, in the Cévennes region. Right from the beginning, Deligny offered sheets of paper and pencils to Janmari, who traced broken lines, then circles, immutably. The tracing sessions became regular. A film directed by Renaud Victor, Ce Gamin, là, shows him in front of an easel, tracing little wavelets and circles on large sheets of paper. 

Gisèle Durand, like Jacques Lin and the other non-professional social workers, lived with the autistic children from the moment the network was created. In November 2001, she proposed that Janmari trace in a sketchbook. Until May 2002, they met in her studio three or four times a week.

 

« The sketchbook lay flat on the table and opened to the page. I handed a ballpoint or felt-tip pen to Janmari, and he began a series of small waves or circles. Depending on which side I extended the pen to him, he began on either the left-hand page or the right-hand page. I usually handed it to him above the right-hand page. On reaching the bottom of the page, he turned the page himself and continued on the right-hand page, and so on. (He traced with his right hand. Sometimes he used his left hand, in which case he began in the middle of the page). He quickly became tired at the time, and he sometimes stopped before the end of the first page.

Whenever I traced a vertical line from top to bottom, Janmari completed the rectangle by tracing the other three sides on his own. Soon I no longer needed to draw the line on the page. I just made the gesture in the air, and he drew all four sides. Then he set the pen down; I handed it back to him again, and he filled the frame with little circles or wavelets. We made the grids together. I began to sketch the left-hand vertical line in the air, Janmari traced the frame and then put down the pen; I performed the gesture of the second vertical line in the air, he traced it and aligned the others. He set the pen down before making circles again, from top to bottom, respecting the separations formed by the vertical lines.

I tried to vary the shapes. When he began a series of wavelets or circles, I sometimes took a piece of graphite and laid it flat on the paper. Janmari took it and traced a rectangle. He set down the graphite, and this time I handed him the pen while clucking my tongue. He immediately responded by resuming the circles (or wavelets) and filling the rectangle without going outside the frame. As for the graphite circle, I often had to get him started in the air. But not always—Janmari could trace it entirely by himself.

Clucking my tongue could cause him to switch from one sign to another, which was how one day, when he had begun tracing circles, I made the sound, and he switched to tracing wavelets up to the right-hand edge of the page. Then he resumed the circles, on the left, and I made the sound again and he drew wavelets. After a while, he internalized this rhythm and alternated on his own—sometimes with a certain difficulty—between circles and wavelets, which ended up forming two columns.

When he had finished a page, I sometimes handed him a colored pencil. He colored the circles, beginning and ending whenever and wherever he wanted. One day, I interrupted him while he was tracing circles; I traced colored bands, and he continued the circles, keeping inside the limits of the bands. It took him around ten or fifteen minutes to fill a page. During that time, I went to draw a bit farther away in the studio. Once he got to the bottom of the page, he continued or else waited for me to come back. He traced sitting down, but the sitting position was painful for him (he was ill at the end of his life), and around April, he started to stand. He traced more slowly, his circles and wavelets becoming less regular, and he lost strength. He died one month after tracing the last page.”

Gisèle Durand
December, 2012

Translation : John Angell

(All rights reserved)

presse

 

Charlotte Nordmann, entretien avec Sandra Alvarez de Toledo et Bertrand Ogilvie, La Revue des livres, mars-avril 2013. Lire

Michel Plon, La Quinzaine littéraire, mai 2013. Lire

Catherine Pomparat, Remue.net, 5 juillet 2013. Lire