35,00 

400 pages, 220 images (noir et blanc)
format : 24 x 16,5 cm
couverture souple avec rabats

une coédition L’Arachnéen / Arcàdia,
publiée avec le soutien du Centre national du livre (CNL)
et de l’Institut Ramon Llull.

ISBN : 978-2-37367-018-9
date de parution : 19 novembre 2021

François Tosquelles

Soigner les institutions


textes choisis et présentés par Joana Masó

Description

 

Soigner les institutions psychiatriques héritées du XIXe siècle, soigner les malades en soignant l’institution, faire des patients psychotiques les coauteurs de leur prise en charge ainsi que des participants actifs à la vie collective de l’institution : telle fut la visée de la révolution culturelle menée par François Tosquelles (avec d’autres soignants, des poètes, des résistants et les patients eux-mêmes) à l’hôpital de Saint-Alban en Lozère pendant la Seconde Guerre mondiale. Le nom de « psychothérapie institutionnelle » fut donné à ce courant de la psychiatrie qui partagea avec (et contre) l’antipsychiatrie la revendication de la dimension humaine de la folie.

La légende de Saint-Alban est connue. Ce livre en dévoile des aspects sous-estimés, comme celui du rôle des femmes dans la vie quotidienne et thérapeutique de l’hôpital, ou troubles, comme celui des débuts de l’art brut. Il restitue surtout à François Tosquelles (né à Reus en 1912) son histoire et son œuvre catalanes, ou plutôt ce qui, de l’histoire de la Catalogne qui fut aussi la sienne dans les années 1920 et 1930, fut directement versé à la révolution psychiatrique française : l’avènement de la seconde République espagnole, l’intense vie militante et culturelle des milieux anarchistes catalans, la présence à Barcelone de nombreux psychanalystes juifs d’Europe centrale, la guerre d’Espagne, à laquelle Tosquelles participa comme psychiatre aux côtés des républicains antifranquistes et antistaliniens.

Joana Masó a réuni dans cet ouvrage un corpus de textes de Tosquelles dont certains étaient introuvables et d’autres jamais traduits. Des analyses militantes aux réflexions cliniques en passant par les essais sur la poésie ou la théologie, ces textes parcourent toutes les époques et restituent l’envergure de la pensée de ce « glaneur », tel qu’il se définissait lui-même. L’iconographie livre une partie des images dont cette histoire est faite : territoires, situations, personnages, objets. L’ensemble fait entendre une action et une voix fortes, qui résonnent dans la lutte actuelle contre le déni de la folie.

 

Avec de larges extraits (textes et entretiens) de François Tosquelles, et des citations de Cécile Agay, Antonin Artaud, Hervé Bazin, Lucien Bonnafé, Georges Canguilhem, Gilles Deleuze, Fernand Deligny, Paul Éluard, Frantz Fanon, Éric Fassin et Joana Masó, José García Ibáñez et Antonio Labad, Roger Gentis, Félix Guattari, Max Hodann, Josée Manenti, Agnès Masson, Ginette Michaud, Joan Navais, Marie Rose Ou-Rabah, Jean Oury, Josep M. Roig, Georges Sadoul, Frederic Samarra et Montserrat Duch, Josep Solanes, Antoni Subirana, Tristan Tzara.

extraits

 

Voir quelques doubles-pages

 

Présentation, par Joana Masó

 

« À l’automne 2012, certains d’entre nous ont vu au musée d’Art contemporain de Barcelone (MACBA) l’essai vidéo d’Angela Melitopoulos et Maurizio Lazzarato intitulé Déconnage, consacré au psychiatre républicain exilé en France, François Tosquelles. Dans l’entretien – réalisé par François Pain, Danielle Sivadon et Jean-Claude Polack – qui forme le cœur de cet essai, Tosquelles parle des expériences collectives de transformation des institutions qu’il a menées durant la seconde République et la guerre d’Espagne puis au cours de la Seconde Guerre mondiale dans la France occupée.

Soigner les institutions psychiatriques héritées du XIXe siècle, soigner les malades en soignant l’institution, tel fut l’impensable projet de Tosquelles – en partie inspiré des thèses du psychiatre allemand Hermann Simon. Soigner l’hôpital, soigner les établissements, les administrations, les relations et le milieu, pour remédier aux causes de la maladie mentale. Transformer l’ensemble des institutions en crise : les institutions du travail, par la mise en place d’instituts de formation professionnelle ; les institutions de maternage, par le biais des instituts de puériculture ; les institutions politiques, par l’engagement : dans le film il évoque ses années de militantisme anarcho-syndicaliste au sein du Bloc ouvrier et paysan (BOC), puis au Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) en Catalogne ; et enfin celles de sa coopération avec la Résistance française.

Dans Déconnage, Tosquelles parle de psychiatrie, des coopératives et des syndicats qui, sous la République catalane, s’organisèrent pour pallier l’absence de réseaux de santé publique. Il mentionne ses expériences de « psychiatrie amateur » pendant la guerre d’Espagne, il rappelle l’improvisation, l’urgence, la fin du monde, et la création d’un monde. Plutôt que d’analyse privée ou, comme il dit, « de clientèle », il parle de « psychanalyse de l’institution », du lien entre la pratique psychanalytique et les langues étrangères, de l’inconscient, de l’accent et de l’intonation. De la voix comme matière. De la posture du corps et de la marche. Des mères qui chatouillent les pieds de leurs enfants, puisque ce sont les pieds qui conduisent quelque part. Et d’une façon de concevoir la psychiatrie à la fois comme une forme d’anticulture et comme une pratique inscrite dans un paysage.

Mais de ce dont il était question dans Déconnage, la plupart d’entre nous n’en savaient rien. Nous ne connaissions ni le nom de Tosquelles, ni a fortiori ses expériences politiques et cliniques. Ce livre et les recherches qui l’ont rendu possible sont nés de cette ignorance. Ils sont nés de l’absence de Tosquelles dans l’imaginaire collectif, catalan comme espagnol. Nous ne savions rien de lui et nous voulions savoir, l’écouter, le lire. Nous voulions que l’héritage oublié de François Tosquelles nous parle d’un passé que nous méconnaissions, mais aussi d’une aventure collective au présent, qui parlerait de nous : de nos institutions malades et de nos malades ; de pratiques institutionnelles expérimentales qui nous permettraient d’imaginer, aujourd’hui, d’autres façons de vivre et de refaire la vie dans nos institutions sans être condamnés à y être toujours, et seulement, en guerre.

Une série d’expériences collectives conduisit Tosquelles à imaginer, à l’avant-garde de la psychiatrie, des institutions ouvertes. Des institutions qui rendent vivables les anciens espaces d’enfermement et qui humanisent les vies laissées pour compte ; des institutions traversées par des pratiques politiques en lutte contre les fascismes des années 1930 et 1940 et, dans la seconde moitié du XXe siècle, contre les nouveaux visages de la dépolitisation ; des espaces d’expérimentation artistique, littéraire et pédagogique, investis dans un esprit antiautoritaire. Aussi, et surtout, des institutions ouvertes sur des lieux où les patients puissent s’inscrire et vivre, en les transformant. Cette ouverture a permis à Tosquelles de repenser l’hôpital de campagne, le camp de réfugiés, la clinique privée comme l’hôpital psychiatrique public ; d’en redessiner les murs et les limites, le centre et les marges. Elle a créé des liens entre les pratiques politiques, médicales, artistiques et la vie matérielle dans les fermes, les jardins fruitiers et potagers, les périphéries. L’institution ouverte a donné lieu à une approche du soin par la « géo-psychiatrie », au travail autogéré, à la création de coopératives de malades et à un principe de formation perpétuelle des uns par les autres. Elle a suscité la circulation de la parole dans l’assemblée, dans les collectifs de théâtre et de cinéma ; elle fut à l’origine de la rédaction de journaux muraux, de la création de publications internes imprimées à l’hôpital, de débats sur l’art brut, son marché et les formes d’appropriation culturelle qui lui sont liées.

Cette histoire collective, qui prend à partir des années 1950 le nom de « psychothérapie institutionnelle », entend transformer ce qu’Erving Goffman appelait les « institutions totales », ces lieux d’isolement où les individus sont administrativement privés de lien social et soumis à la gestion bureaucratique de leur vie et de leurs besoins. Tosquelles associe la possibilité de cette transformation à la guerre. Il fait référence à ce propos tant à son engagement comme psychiatre dans les conflits armés – la guerre d’Espagne, la dictature franquiste, la Seconde Guerre mondiale et la France occupée – qu’à l’état de guerre comme expérience du monde. Dans les années 1970 et 1980, il va jusqu’à écrire qu’il faudrait organiser une ou deux guerres par génération : si ce n’est que la guerre tue, qu’elle produit de la souffrance, il faudrait la considérer, dit-il, comme une expérience souhaitable. Parce qu’il y a moins de névroses en temps de guerre qu’en temps dit de paix ; parce que la guerre situe, permet de s’exposer et d’agir ; parce qu’elle conduit à se demander ce qu’est une lutte et quelles sont les luttes qui comptent.

Ces propos provocateurs de Tosquelles mettent en garde contre le danger passé et présent d’un rapport dépolitisé à la vie des institutions et à leurs approches normées de la santé et de la folie ; et ceci de l’école à l’université, dans les lieux de travail comme dans les espaces de loisir, au cours de la maladie comme de la vieillesse. Faute de pouvoir identifier les dysfonctionnements des institutions ou les formes contemporaines d’autoritarisme, de paternalisme et de privation de liberté, nous souffrons d’un mal que nous sommes incapables de nommer ou transformer. Ces épisodes historiques n’appartiennent pas qu’au passé, ils ne parlent pas seulement de l’Europe des fascismes. Ils résonnent dans le malaise de l’institution en cette époque de néolibéralisme. Les pratiques collectives mises en œuvre par Tosquelles ont introduit dans le champ clinique et thérapeutique, comme dans le champ politique et littéraire la question de la vie vécue, si souvent absente de notre expérience contemporaine des institutions.

Le parcours de François Tosquelles est le plus souvent résumé à l’action qu’il a menée à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban-sur-Limagnole, en Lozère, à partir de 1940 ; au récit légendaire d’un groupe d’hommes réunis dans ce lieu qui accueillait des résistants tandis que la France laissait mourir de faim 40 000 patients. Le psychiatre Max Lafont a parlé d’« extermination douce » pour qualifier ces morts dues à l’abandon, à la faim, au froid et à la carence généralisée de soins dans les hôpitaux français, tandis qu’à Saint-Alban on organisait la survie en mettant en œuvre des formes de coopération avec l’environnement local.

Dans la première moitié des années 1940, grâce aux liens du psychiatre Lucien Bonnafé avec l’avant-garde, la Résistance et le communisme français, l’hôpital de Saint-Alban accueillit, entre autres, le poète Paul Éluard, le peintre Gérard Vulliamy, le philosophe, médecin et historien des sciences Georges Canguilhem, l’historien du cinéma Georges Sadoul et le photographe Jacques Matarasso. Le poète et théoricien dadaïste Tristan Tzara ainsi que Jean Dubuffet s’y rendirent après la guerre – sur le conseil de Paul Éluard. Dubuffet y trouva en Jean Oury, alors jeune psychiatre, un interlocuteur privilégié. Frantz Fanon, à l’époque interne en psychiatrie, passa un an et demi (1952-1953) à travailler à Saint-Alban avec Tosquelles ; Peau noire, masques blancs venait de paraître et il était sur le point de s’engager dans la lutte de l’Algérie pour l’indépendance.

Ces noms ont été transmis au prix de l’effacement de bien d’autres. C’est le cas, en particulier, de ceux des femmes engagées dans le travail à l’hôpital : la psychiatre Agnès Masson, directrice de Saint-Alban dans les années 1930, qui fut à l’origine de la géo-psychiatrie ; la psychiatre Germaine Balvet – l’épouse de Paul Balvet, directeur de l’hôpital à l’arrivée de Tosquelles –, autrice d’une thèse sur les traitements à l’insuline, qui introduisit les soins homéopathiques aux herbes médicinales au sein de l’établissement ; Nusch, l’artiste et la compagne d’Éluard, qui prit part à l’organisation du théâtre ; ou encore la fille d’Éluard et de Gala, qui publia des textes sur les femmes de Saint-Alban dans le journal communiste Les Étoiles sous le pseudonyme de Cécile Agay. Tosquelles rappelle que Nusch et Cécile Éluard prirent même part à la psychothérapie de quelques schizophrènes. Ce silence autour de la présence des femmes trahit l’histoire collective de l’hôpital ; pour la rétablir et dire de quelle manière la subsistance a été rendue possible, il faut mentionner encore Elena Álvarez, l’épouse de Tosquelles, les religieuses de l’ordre de Saint-Régis et leur mère supérieure Théophile, le personnel soignant, les formateurs, les malades. François Tosquelles a mené de front à Saint-Alban vie familiale et travail collectif, avec Elena et leurs quatre enfants qui, à l’exception de Marie Rose (née à Reus en 1936), sont tous nés à l’hôpital et y vécurent, comme et avec les enfants des autres médecins et administrateurs.

Ce livre tente de redessiner les contours de cette histoire et de la vie matérielle à Saint-Alban en les inscrivant dans une autre constellation de noms propres, de corps et de vies vécues. Il cherche à désapprendre certains des moments emblématiques d’un récit légendaire et à le raccorder à des expériences de transformation culturelle, politique et psychiatrique, auxquelles Tosquelles avait participé plus d’une décennie avant son arrivée en Lozère : en Catalogne, entre Reus et Barcelone ; en Espagne, entre Sarinyena, Benabarre, Bujaraloz et Almodóvar del Campo ; en France, dans le camp d’internement de Judes à Septfonds.

La plupart des textes de Tosquelles écrits en catalan et en espagnol n’avaient jamais été traduits en français, et certains de ses textes en français demeuraient introuvables. Ce livre rassemble donc un ensemble de nouvelles traductions et d’essais difficilement accessibles parus dans des revues, journaux ou publications scientifiques. Il se présente sous la forme de morceaux choisis dans la vaste production intellectuelle, clinique et politique de Tosquelles, entre les années 1930 et 1990, et s’accompagne d’une importante documentation photographique et cinématographique. Cette anthologie de fragments s’inscrit en parallèle du projet d’édition de l’œuvre intégrale, intitulé Archives complètes et mené par Jacques Tosquellas aux Éditions d’une dirigées par Sophie Legrain.

J’aimerais que ce livre permette tout à la fois de se souvenir et d’apprendre, d’hériter et d’inventer, au croisement de la mémoire que nous ne possédons pas encore et de l’imagination qui nous fait défaut dans nos rapports avec les institutions contemporaines et leurs maladies. »

 

Citations de François Tosquelles

« Avec le travail, non pas avec le travail scolaire d’apprendre les montagnes et les rivières, mais le travail que chaque enfant a à faire, fatalement, pour constituer son filet, pour y attacher des choses, comme toutes les araignées. […] Ce qu’elles font, les araignées, c’est d’accrocher une ficelle à droite et une autre à gauche. Sans ça il n’y aurait pas de filet. Le travail intime, que disait Freud, c’est un travail pour attacher les bouts de fils à quelque chose qui apparaît comme plus ou moins solide, comme peut l’être le coin d’une maison, le père, le chien, le chat, le cheval ou la voiture, c’est tout. Mais c’est ce travail intime qu’on ne fait pas à l’école. Et quand on dit qu’il faut tenir compte de la personnalité des enfants, on est foutu parce que la personnalité est un concept juridique, de propriétaire. » (1)

« La phobie de la mort et de la folie est très généralisée. Tout le monde doit mourir et tout le monde est fou, grâce à Dieu. L’homme naît de la folie, et l’éliminer au bénéfice du corps de l’homme arrive à produire de bons vétérinaires mais pas de bons médecins. Nous l’avons déjà dit: il faut tenir compte du corps érotique comme du corps social, en plus du corps matériel. Il n’y a rien de plus sot que de dire: vous êtes fou mais on vous guérira. Face à la question déjà mentionnée, la réponse est conditionnée par l’idée que l’on se fait de la folie. Si on en a une idée négative on ne fera qu’augmenter la résistance à être fou. Le métier de psychiatre peut être commode, tranquille: « Moi je ne le suis pas, le fou c’est le client. » Le premier contact avec le malade doit nous amener à rechercher comment on peut vivre en tirant profit de la folie. » (2)

« Quand on se promène dans le monde, ce qui compte c’est pas la tête, c’est les pieds. Savoir où est-ce que tu mets les pieds. C’est le pied qui est le grand lecteur du livre du monde, de la géographie. La marche, c’est pas avec la tête, il faut que je sache où est-ce que je mets le pied, vous comprenez ? C’est tout. Le pied c’est l’appareil, le lieu de réception de ce qui deviendra le tonus. C’est pourquoi une mère, la première chose qu’elle fait, c’est faire des chatouilles aux pieds. Parce qu’il s’agit de tenir debout. » (3)

« Quel rôle jouent les étrangers dans l’histoire concrète de la pratique psychanalytique? […] Nous sommes pleins et archi-pleins de l’étranger que nous portons en nous, et alors le processus analytique aide. Lorsque sont arrivés à Barcelone ceux qui ne parlaient qu’allemand, tchèque, ou hongrois, c’est alors qu’il a commencé à y avoir de l’analyse concrète comme expérience vécue, parce qu’ils étaient étrangers. Je voulais dire cela pour établir un lien avec la frontière. » (4)

« C’était en 1930 ou 1931 à l’occasion de la crise qui opposa Staline et les siens au petit noyau qui s’était constitué péniblement dans la clandestinité, pendant la première dictature, sous le nom de Fédération communiste catalano-baléare. Un groupe dont je fis partie pendant mes études à Barcelone. Les copains du « Bloc ouvrier et paysan » qui naquit de cette crise politique, me demandèrent de profiter des vacances pour porter quelques textes et informations à Reus où il y avait quelques militants: Oliva, Hortoneda et quelques autres que j’ai oubliés. À Barcelone, on pouvait croire qu’avec les illusions légitimes qu’avait fait naître la révolution russe, les militants de Reus risquaient de suivre les directives des agents du Parti, qui pour Staline devait être la chose de Moscou ou de Madrid. Une chose dirigée contre les républicains, les socialistes et les anarchistes, autant ou plus que contre les monarchistes et la droite. Il fallait, disait-on, défendre une seule tactique qui se résumait dans la formule: « Tout le pouvoir aux soviets. » Avec humour l’un d’entre nous a dit que chez nous on pouvait traduire ça par « tout le pouvoir aux penyes [cercles de café] » – car de soviet il n’y en avait pas un seul dans toute l’Espagne. […] Je me rappelle qu’[Oliva] me proposa de dire à Quim [Joaquim Maurín], que si les choses allaient mal à Reus, les gens du BOC se garderaient les marrons pour eux. « Le groupe de Reus ne servira de tramway ni pour la Russie de Staline, ni pour les succursales des matamores d’Hitler. » » (5)

« La psychanalyse de clientèle est celle que vous faites, vous autres. Bon, j’ai pas mal d’expérience dans les psychanalyses didactiques. Depuis 1943 je n’ai accepté aucun type qui me dise vouloir être psychanalyste. Je lui dis: « Allez voir un psychanalyste. » Je fais de la psychanalyse didactique avec des personnes qui veulent rentrer dans le cadre, qui feront de la psychanalyse publique. Les autres ne m’intéressent pas, qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? Élever des corbeaux qui t’arracheront les yeux. Je ne dis pas que la clientèle privée ne devrait pas exister, mais ce n’est pas ma vocation. Disons que ça ne m’intéresse pas. » (6)

« […] nous étions dans un coin perdu, dans un hôpital où il n’y avait rien, avec une tradition psychiatrique du siècle dernier qui s’était éteinte. Cet hôpital – celui de Saint-Alban – a été créé en 1820 par un antipsychiatre, un type de Saint-Jean de Dieu qui s’appelait Hilarion Tissot et qui a créé le premier asile libre. Il en a fondé vingt-cinq en Belgique avant la loi de 1838. Si l’État français a fait, avec le Parlement, la loi de 1838, c’est la conséquence de toute l’agitation que cet homme avait produite dans cette tâche créative qui impliquait les gens du village. À Montauban, j’ai rencontré des types qui étaient les fils des fils des fils des deux premiers infirmiers psychiatriques qu’il y eut en France et qui étaient soignants à Saint-Alban. » (7)

« Je ne sais pas si vous savez que l’institut Politècnic de la rue urgell était pratiquement entre les mains de l’union socialiste de Catalogne. Ils étaient vingt-cinq à travailler avec Capdelans et Mira, même avec Comorera, qui venait du Parti socialiste de Catalogne, qui travaillait comme enseignant et ne se préoccupait pas des problèmes psychiatriques. Les deux premiers instituts de formation professionnelle ont été fondés à Barcelone et à Chicago, et c’est Mira qui a fait ça. C’est pourquoi quand je lui ai demandé d’étudier les fous à Barcelone, Mira m’a dit: « Viens étudier les gens normaux. » » (8)

« Quand je vivais à Reus, à un coin du carrefour il y avait le lycée et, à l’autre, l’institut Pere Mata. Comment peut-on ne pas deviner que mon enfance était institutionnelle! Tout ça m’a fait réfléchir au problème de ce que peut bien vouloir dire l’institution. et ce qu’on appelle des institutions, c’est précisément le manque d’institution. Ce sont des « établissements », ça se dit en français, des établissements. Ce qu’ont fait les psychiatres, c’est de convertir les établissements en institutions. C’est pareil avec le mariage parce que se marier c’est s’établir, et le problème c’est de convertir le fait de « s’établir » en institution, parce que si l’on est à la maison et que l’on baise parce que c’est vendredi, ce n’est pas une institution, c’est un établissement. Et ensuite on passe de l’établissement à l’état permanent. C’est pour ça que j’ai toujours été partisan de la nation permanente et non pas de l’état permanent. » (9)

« Il y a un projet, que je ne peux pas qualifier de mythique – parce que ce n’est pas ça, le mythe –, un projet presque délirant, à savoir que les gens, médecins et non médecins, croyaient que les personnes « folles » pourraient guérir si on les traitait bien. Même isolées. Si, comme disaient les philanthropes, on les mettait dans une cage de luxe, avec du confort, de l’air – ça c’était une idée française, que les malades puissent respirer –, s’ils avaient le droit de manger tranquillement, de respirer tranquillement et aussi de se laver, de se purifier avec de l’eau… ainsi, s’ils étaient bien traités, avec toute l’ambiguïté de ce terme, les malades trouveraient le calme, la tranquillité, la paix et, comme le dit l’anagramme IPM, l’intelligence brillerait à nouveau – flammabo iterum –, l’intelligence, le feu de l’âme, l’esprit, s’allumerait de nouveau… C’est une idée simple, qui revient tout au long de l’histoire de la psychiatrie, aujourd’hui encore… » (10)

« J’aime beaucoup le titre de votre revue parce que si on dit « occurrences » ça ne veut rien dire, si on dit « association libre » ça fait très intellectuel… Le mot acudit me plaît beaucoup parce que c’est un condensé de « oreille » – acoustique – et de « dit ». Je l’ai souvent utilisé avec Oury. Je lui raconte des choses en catalan, je pense que si l’on ne parle pas catalan on ne comprend aucune langue. Si Freud avait su le catalan au lieu du castillan, il aurait fait mieux. Il aurait parlé d’acudit, comme j’en parle dans mon livre : oreille et dit s’assemblent, et il en sort acudit. Ça vaut mieux que chiste, on dirait que l’on s’en fout ; l’acudit peut être très sérieux, mais ce qui compte ce n’est pas cet acudit, ou un autre, c’est le fil rouge, comme disait Freud, le lien avec une chose qui a à voir avec la fonction poétique du langage que j’étudie dans mon livre.
Ah, si Freud avait joué au juif et au Catalan, au lieu de dissimuler qu’il était tchèque et juif ! Certains de ses confrères de Budapest ont eu des problèmes avec lui parce qu’ils étaient séparatistes et qu’ils ne voulaient rien savoir des Autrichiens, tandis que Freud était pour l’Autriche, il disait qu’il était Autrichien. Il écrivait très bien l’allemand mais il ne savait pas le tchèque, et quand il se met à écrire en tant que juif il se goure. […] Si Freud connaissait un peu l’histoire des juifs et, en particulier, celle des juifs des contrées catalanes… ou un autre Aragonais qui écrivait en catalan, Arnau de Vilanova. Il a écrit la meilleure étude sur le rêve – elle est presque aussi bonne et par certains côtés meilleure que celle de Freud –, mais voilà, Freud ne connaissait que les chevaux espagnols qui passaient dans Vienne avec les militaires… il a lu La vida es sueño de Calderón… » (11)

« Quand j’étais tout petit déjà, vers l’âge de 10 ans ou 11 ans, j’ai décidé de faire le psychiatre sérieusement. Alors je savais plus ou moins que ce dont il s’agissait en psychiatrie c’est les problèmes qui ont été effleurés dans la connaissance de l’homme par la pratique de la psychanalyse, par la pratique de Freud. Tout ce qu’on me racontait des hommes, de la psychologie des hommes, des trucs comme ça, qu’on racontait à l’école, cette bêtise des lycées : intelligence, volonté, mémoire, je ne sais pas quoi, et fonction de l’âme, ça me semblait complètement idiot. Et c’est même à partir de ça que l’enseignement de Mira, que je connaissais déjà quand j’avais 10 ans, était évident, parce qu’il rejetait toute la psychologie classique, avec deux ponts curieux : d’un côté la valeur que pourrait avoir une psychologie expérimentale, le truc du test, non pas le test d’intelligence, mais tous les tests de comportement, toute la psychologie expérimentale, qui est une activité riche de conséquences, et d’un autre côté cette situation expérimentale qu’est la psychanalyse, qu’est l’expérience de la naissance de la parole, de la renaissance du souvenir. Et ça, pour savoir quelque chose de votre façon d’être et comment vous vous êtes fabriqué, de votre construction comme sujet, il n’y a qu’un seul chemin. C’est à travers les mensonges et les erreurs, et les dissimulations de la mémoire, ce que vous pouvez recréer de nouveau à votre sujet, que quelque chose de votre vérité va apparaître. C’est ça la psychanalyse. Pas de psychanalyse sans parole, et pas parole comme un dialogue : je parle, tu me réponds, tu parles, je te réponds, à voir qui est-ce qui gagne ou qui est-ce qui se cache le mieux. La découverte de Freud, progressive d’ailleurs, c’est d’abandonner le dialogue, pour ne laisser que les évocations, les mises en parole, « evocare », du client – je ne dis pas du malade –, de n’importe qui,
qu’il puisse suivre… pas même un monologue, parce que dans la situation analytique on n’attend pas que le type allongé sur le divan condamné à répondre comme une partie de tennis tac tac… je te demande, tu me réponds, etc. Eh bien, à partir de ce moment-là, il y a une sorte de glissement et on assiste à la création du sujet, la création de lui-même. Donc c’est tout ça qui est mis en faille, en échec on peut dire, dans la soi-disant maladie mentale, ou dans ce qui est au moins à l’origine du mal-être des personnes. » (12)

« Donc nous nous intéressions beaucoup à de Clérambault, à cause de l’histoire de la complexité… une phrase de de Clérambault parlait de « délire autoconstructif ». Il faut prendre ça au pied de la lettre. Vous êtes un délire autoconstructif impersonnel, vous vous êtes construit vous-même. Vous êtes une architecture, vous avez piqué des histoires à votre père, à votre mère, à votre cousin germain, au chien qui passait dans la rue, et même peut-être à monsieur de Gaulle. Mais avec ces morceaux, avec ces briques, vous avez construit votre belle architecture, ça avec plusieurs niveaux logiques. Il y a plusieurs logiques en vous-même, je ne dis pas plusieurs personnages, mais en lavant votre complet, on trouve la logique de votre peau avec ses trous, et avant la peau on trouve une autre logique, et vous êtes le résultat de la superposition et des interférences entre ces plusieurs logiques. » (13)

« Si l’homme n’est pas fou c’est qu’il n’est rien. Le problème c’est de savoir comment il soigne sa folie. Si vous n’êtes pas folle, comment voulez-vous que quelqu’un soit amoureux de vous ? Pas même vous, vous comprenez. Ce qui ne veut pas dire que si vous ne savez pas être folle alors on va vous foutre à l’hôpital psychiatrique, parce que les fous qu’on met dans les hôpitaux psychiatriques, c’est des types qui ratent leur folie. L’important de l’homme c’est de réussir sa folie. Lacan parle sérieusement, il dit mieux, il parle de « situation limite », de « liberté », ça fait très joli, mais en réalité c’est comme ça. Enfin madame, je vous dis bien « si vous n’êtes pas folle vous êtes foutue », parce que vous n’aurez aucun accès à vous-même et vous ne pourrez donner rien de vous à l’autre, à l’autre que vous aimez. Tout le monde sait que l’amour est une folie. C’est une folie non seulement agréable, mais… qui découvre, précisément. L’amour ce n’est pas vous foutre à poil pour voir votre viande, c’est pour découvrir votre être ! Vous ne pouvez vous découvrir que dans la folie, et dans la folie qui est pour l’autre, c’est-à-dire que si vous n’êtes pas follement amoureuse d’un idiot, comme moi ou n’importe qui, vous ne saurez jamais qu’est-ce que vous êtes. C’est clair ça ? C’est le destin de la folie qui est l’essence de l’homme. Si un type rate sa propre folie, si tout le monde et lui-même le premier, il dénie sa folie – c’est la fonction du déni, dans la dénégation de Lacan, ou de Freud – alors à partir de ce moment-là c’est foutu, c’est zéro quoi. » (14)

« Ce que j’en dirai ne vient pas seulement de mon expérience personnelle. Je le tiens aussi, et surtout, de ce qui se dit peu à peu, au cours de longs dialogues psychanalytiques, quand, dans le silence de l’analyste, celui qui parle en vient à évoquer progressivement son expérience intime de la mort. Devant la mort, les gens, grands et petits, d’emblée ou peu à peu, en arrivent à évoquer et à retourner dans leur esprit une «nouvelle évidence», plus surprenante encore que la mort elle-même. Ils se rendent compte que les épaisses brumes des sentiments ou de la guerre ne parviennent jamais à effacer l’espèce de déception ou de désillusion que la mort de l’autre rend évidente: on se rend compte qu’on a vécu pendant des années avec cette personne et qu’en fait, on ne la connaissait guère. Quelque chose de plus ou moins caché disparaît avec elle. On se rend à l’évidence, qu’il ne suffit pas d’être témoin d’actes concrets, ou de se rappeler les paroles dites par quelqu’un, pour connaître ses pensées, et encore moins ses rêves, sa manière d’élaborer ses désirs toujours plus ou moins frustrés ou non réalisés. Le mort que nous aimons s’en va dans l’au-delà en emportant ses rêves, et, si nous l’aimons encore, nous lui demandons de nous en faire don. Quelqu’un qui, au cours de son analyse, me racontait sa présence inopinée à l’enterrement d’un inconnu, me dit de façon significative, même si au début c’était sur le ton de la plaisanterie: « Qui sait qui était réellement ce mort, qui sait de quoi il rêvait !… Vous n’avez jamais analysé un mort !… vous ne savez donc pas de quoi ils rêvent !… Moi ça m’est arrivé une fois où je suis resté plusieurs heures à côté d’un mort… C’était mon père… Je me suis endormi et j’ai rêvé. Mais ce n’était pas mon rêve, c’était le sien, j’en suis sûr. Les pères se débrouillent toujours pour nous laisser leurs rêves en héritage ! » » (15)

« Comme je connais un peu les histoires des gamins, je peux dire ici que les gens de Reus auraient tort de croire que cette affaire de guerre civile et de révolution n’est qu’un passage, ou une imbécillité plus ou moins tragique, due à des gens inadaptés, songe-creux ou trouble-fête. Il s’est ouvert dans notre monde un vide qu’on ne pourra jamais combler avec des philosophies à l’eau de rose ni avec des leçons bien ou mal apprises. Ni en Catalogne, ni en Espagne, ni ailleurs dans le monde.
Les événements auxquels nous assistons rompent la continuité apparente du simple cheminement de la vie ; ils creusent des fossés définitifs dans l’histoire du monde et de chacun de nous. Chacun s’y retrouve partagé. Il s’agit d’un clivage qui, au moins pour les habitants des bords de la Méditerranée et pour les Européens, sera plus profond que ceux produits par la Révolution française et par la Révolution russe. Ce ne sont pas des événements dont nous pourrions nous abriter où que ce soit, car il s’agit de la vie concrète des hommes eux-mêmes. Les militants du POUM qui vous ont parlé y ont pensé depuis longtemps et en ont pesé les conséquences. Je ne sais pas si ça servira à quelque chose. Je crois cependant qu’il faudrait prendre la mesure du fossé ou du vide qui s’est ouvert dans l’histoire de chacun et dans l’histoire des peuples afin d’assumer les choix que nous aurons tous à faire, ensemble et chacun pour son propre compte. » (16)

« On sait que les gens, souvent à l’unisson de ce que proclament les porte-voix les plus tonitruants de chaque culture, rejettent tout ce qui peut se cacher ou se découvrir dans le champ de l’aliénation. Les fous sont toujours les premiers à en payer les pots cassés. La mort et la folie représentent encore deux formes de tabou que presque personne n’ose regarder en face. Il ne s’agit pas seulement d’une peur, mais d’une véritable phobie ou d’un interdit persistant. On n’en parle que sous forme de plaisanterie ou on tourne autour du pot avec des discours anonymes ou des élaborations philosophiques, ou encore avec des productions littéraires qui ne servent la plupart du temps que d’échappatoire. » (17)

« Avec l’exemple et l’aide des autres malades plutôt qu’avec le contact personnel du médecin, ce qui est médical doit se projeter, depuis le premier contact jusqu’au moindre élément de la vie et de la responsabilité hospitalière. Il s’agit d’apprendre au malade à déchiffrer le sens général de l’hôpital. De stimuler sa compréhension et son effort à ce sujet ; il faut lui prêter cette clé dès les premiers contacts ; même si ceci apparaît inutile ou inutilisable sur le moment. Les techniques d’accueil ne doivent pas se limiter au premier acte, comme l’écrit dans sa thèse mon élève le docteur Bidault. L’accueil se prolonge inlassablement au cours du séjour et constitue la disponibilité de base qui permet la rencontre du malade et de l’institution. » (18)

« Il y a en effet une fâcheuse confusion autour des termes: ergothérapie, socialthérapie, thérapeutique de groupe et thérapeutique institutionnelle. Notre secrétaire général a raison de demander de bien préciser le sens des mots. Daumézon a importé d’Amérique l’expression de thérapeutiques institutionnelles pour qualifier la forme de thérapeutique de groupe qui s’établit – souvent – à l’insu du médecin dans les hôpitaux psychiatriques du fait de l’organisation matérielle, des interactions psychologiques et sociales entre malades et entre les malades et le personnel. II est évident qu’une thérapeutique – si thérapeutique il y a –, même lorsqu’elle est faite à l’insu du médecin et sans ses directives, peut prétendre être une vraie thérapeutique. La thérapeutique institutionnelle n’existe, justement, qu’au niveau de cette prise de conscience, et je dirais, au niveau de l’acquisition du pouvoir et de la maîtrise dans le maniement médical de « l’institution » à travers tout ce qu’elle a à la fois de matériel et de vivant. » (19)

« […] quand je suis arrivé plus tard en France, sain et sauf, j’avais développé une conviction profonde : avec l’aide et la participation de gens ordinaires – des avocats, des curés de campagne, des fous, des paysans, des peintres – en un court laps de temps, il était possible de créer de bons services psychiatriques. Seuls ces gens avaient une position naïve devant le fou, tandis que ceux qui avaient subi une déformation professionnelle – les « maîtres », les spécialistes des fous qui avaient été formés à l’école de la psychiatrie classique – ne servaient à rien, étaient plutôt des obstacles. En outre, pendant la guerre, le personnel psychiatrique a été constitué pour ainsi dire de « volontaires coactés », tandis que les civils étaient des volontaires qui avaient choisi de participer par affinité particulière. Parmi ces bénévoles, j’ai pris soin d’écarter ceux qui croyaient avoir une expertise psychiatrique, choisissant plutôt ceux qui étaient dotés d’aptitudes naturelles à être avec les autres. Parce que sinon on perd beaucoup de temps à transformer les gens en quelqu’un qui sait comment être avec les autres ! » (20)

« J’ai continué à travailler même après, mais à Saint-Alban, tout prit fin en 1952. La mort de l’expérience a coïncidé avec son baptême, quand Daumézon l’a nommée « psychothérapie institutionnelle ». En fait, à cette époque, nous avions un certain pouvoir, même au niveau des structures étatiques. Je me suis même investi par des visites à l’ENA. Je faisais des cours pour la fabrication de futurs préfets, pour influencer le dispositif ! Tout cela a duré jusqu’en 1953, 1954, puis tout a été terminé. Ce fut l’occupation des hôpitaux et du secteur par la psychiatrie classique et l’administration. Du reste, le secteur n’est jamais né en France. Il n’y a qu’un seul secteur, le treizième arrondissement, qu’on ne peut même pas définir comme un secteur psychiatrique complet ; il a été formé parce qu’une entreprise privée l’a financé et parce qu’une équipe d’analystes, dirigés par Paumelle, le catholique, a commencé à s’occuper des alcooliques. Et l’État a laissé faire. » (21)

« Ainsi, les Français, quand ils veulent faire aller les enfants à l’école, ils disent : « Toi à droite, toi à gauche… Allons-y… » Mais tout ce mouvement vient de l’extérieur, tandis que la Gestaltum vient d’un sentiment d’activité propre, qui naît de l’enfant : l’enfant ressent le besoin de mettre en forme son rythme. Et ainsi, par exemple, quand il s’agit de la perte du sentiment d’activité, en ce qui concerne les perturbations dans la schizophrénie, cela ne veut pas dire que le schizophrène ne se déplace pas, n’est pas actif. Au contraire, cela signifie qu’il bouge comme un poids mort que nous faisons aller à droite, à gauche. Cela signifie que le schizophrène ne perçoit pas ses rythmes comme la source de son mouvement, et qu’il les attribue alors à une force extérieure: « C’est l’hallucination qui me fait faire telle chose ou est-ce mes ennemis qui m’obligent à… ? » En bref, nous avons tous en nous la source des rythmes, cardiaques, du système nerveux… Tout procède par rythmes et par rythmes divers. Et ces rythmes, qui en eux-mêmes ne veulent rien dire, sont la base de ce qui va aboutir à la mise en forme. La Gestalt est précisément le résultat de votre propre rythme. » (22)

(1) François Tosquelles, rushs non montés du film de François Pain, Une politique de la folie, 1989.
(2) François Tosquelles, « Que dire, comment le dire ? », conférence inédite du 18 décembre 1987. Traduit du catalan par Pascale Bardoulaud.
(3) François Tosquelles dans le film de François Pain, Une politique de la folie, 1989.
(4) François Tosquelles, Histoire de la psychanalyse dans les pays catalans, 1986. Traduit du catalan par Pascale Bardoulaud.
(5) François Tosquelles, Funció poètica i psicoteràpia: una lectura d’«In Memoriam» de Gabriel Ferrater, Reus, Institut Pere Mata et Centre de lecture, 1985 ; traduit du catalan par Antoine Viader, Fonction poétique et psychothérapie, Toulouse, Érès, 2003.
(6) François Tosquelles, entretien avec Miquel Bassols et Rosa Maria Calvet publié dans Otium diagonal, n°4-5, 1983. Traduit du catalan par Pascale Bardoulaud.
(7) François Tosquelles, entretien avec Miquel Bassols et Rosa Maria Calvet, op. cit.
(8) François Tosquelles, entretien avec Miquel Bassols et Rosa Maria Calvet, op. cit.
(9) François Tosquelles, entretien avec Francesc Vilà, publié dans L’Acudit. Publicació de psicoanàlisi, n°1, octobre 1985. Traduit du catalan par Pascale Bardoulaud.
(10) François Tosquelles, entretien avec Francesc Vilà, op. cit.
(11) François Tosquelles, entretien avec Francesc Vilà, op. cit.
(12) François Tosquelles, entretien avec Francesc Vilà, op. cit.
(13) François Tosquelles, entretien radiophonique avec Cécile Hamsy et Jean Guir, France Culture, 4 octobre 1985, repris dans L’Interdit, n°14, 1987. Transcription revue.
(14) François Tosquelles, entretien radiophonique avec Cécile Hamsy et Jean Guir, op. cit.
(15) François Tosquelles, Fonction poétique et psychothérapieop. cit.
(16) François Tosquelles, Fonction poétique et psychothérapieop. cit.
(17) François Tosquelles, Fonction poétique et psychothérapieop. cit.
(18) François Tosquelles, « L’aménagement de la structure de la rencontre psychothérapeutique en milieu hospitalier psychiatrique », IVe Congrès international de psychothérapie, Barcelone, 1958.
(19) François Tosquelles et Frantz Fanon, « Indications de la thérapeutique de Bini dans le cadre des thérapeutiques institutionnelles », 1953.
(20) François Tosquelles, « L’école de la liberté », discussion collective datant de 1987.
(21) François Tosquelles, « L’école de la liberté », op. cit.
(22) François Tosquelles, « L’école de la liberté », op. cit.

 

sommaire

 

Note de l’édition française, par Sandra Alvarez de Toledo

Présentation, par Joana Masó

Les vies de François Tosquelles, chronologie établie par David Fontanals

 

Chapitre I.

Les institutions dans la petite Vienne. Reus et Barcelone / 1929-1936
par Joana Masó, avec des textes de François Tosquelles, Josep Solanes et Jean Oury

François Tosquelles 
« La fonction de l’État est d’empêcher qu’il y ait des institutions »
« La psychanalyse dans l’Église, à l’école ou chez les gendarmes »
« C’est le destin de la folie qui est l’essence de l’homme »

 

Chapitre II.

Expériences thérapeutiques en temps de guerre. Reus, le front d’Aragon, l’armée d’Estrémadure et le camp de Septfonds / 1936-1939
par Joana Masó, avec des textes de François Tosquelles , Josep M. Roig, Joan Navais, Frederic Samarra et Montserrat Duch, Max Hodann, Antoni Subirana

François Tosquelles 
« La guerre d’Espagne »
« Le sens des consignes du POUM »
« Fonction poétique et psychothérapie. Une lecture d’“In memoriam” de Gabriel Ferrater », suivi du poème de Ferrater
« L’école de la liberté » (I)

 

Chapitre III.

La vie matérielle : une révolution psychiatrique. Saint-Alban / 1940-1962
par Joana Masó, avec des textes de François Tosquelles, Lucien Bonnafé, Frantz Fanon, Hervé Bazin, Agnès Masson, Marie Rose Ou-Rabah, Georges Sadoul, Georges Canguilhem, Paul Éluard, Cécile Agay, Tristan Tzara, Jean Oury, Éric Fassin et Joana Masó, Antonin Artaud, Gilles Deleuze, Ginette Michaud, Félix Guattari, Josée Manenti, Fernand Deligny, Roger Gentis

François Tosquelles 
« L’école de la liberté » (II)
« Que faut-il entendre par psychothérapie institutionnelle ? »
« Le Vécu de la fin du monde dans la folie. Le témoignage de Gérard de Nerval »
« La Résistance : Saint-Alban »
« Sur la psychothérapie collective »
« Invalidité et travail. À propos des mutilés de guerre »
« Perspectives et mirages »
« Les limites de la structure libérale de la médecine »
« Frantz Fanon et la psychothérapie institutionnelle »

Frantz Fanon et Jacques Azoulay 
« La socialthérapie dans un service d’hommes musulmans : difficultés méthodologiques »

 

Chapitre IV.

Le retour. Un corps étranger. Reus / 1967-1994
par Joana Masó, avec des textes de François Tosquelles, José García Ibáñez et Antonio Labad

François Tosquelles 
« À propos des difficultés de la pratique et de l’enseignement de la psychiatrie (une orientation qui nous vient de loin : Arnau de Vilanova) »
« Faire un club »
« Que dire ? Comment le dire ? »
« Émergences des crises vitales humaines »

événements

 

Vendredi 29 novembre 2024 à 19h, à la librairie Les Modernes à Grenoble, rencontre avec Joana Masó et la revue Panthère première.

Samedi 29 octobre 2022, de 15h à 18h30, rencontre avec Joana Masó au Centre Joë Bousquet et son Temps (Carcassonne), dans le cadre de deux journées intitulées « L’acte créateur ». Programme

Vendredi 30 septembre 2022, 20h, projection au Cinématographe (Nantes) : Histoire potentielle de François Tosquelles. La Catalogne et la peur. Un film de Mireia Sallares, co-écrit avec Joana Masó, 2021, 150 min. En présence des réalisatrices. Séance proposée par Catherine Jourdan et Florence Frappart avec le soutien de l’association Intension Psychanalytique. Programme

Samedi 2 avril, 17h, projection à L’Atelier du 10 rue St-Luc (Paris 18è) : Histoire potentielle de François Tosquelles. La Catalogne et la peur. Un film de Mireia Sallares, co-écrit avec Joana Masó, 2021, 150 min.

Vendredi 4 février 2022, de 18h à 19h30, rencontre avec Joana Masó à la librairie Ombres blanches, Toulouse. https://www.ombres-blanches.fr

Vendredi 19 novembre 2021, 20h : présentation du livre à la librairie L’Atelier, Paris 20e, en présence de Joana Masó.

presse

 

Ludovic Lamant, « Avec le psychiatre catalan Tosquelles, pour “penser avec les pieds” », Mediapart, jeudi 11 août 2022. Lire le PDF ou en ligne (pour les abonnés)

Anne Querrien, Chimères, juin 2022. Lire

Yann Diener, Charlie Hebdo, mercredi 19 janvier 2022.

Marianne Dautrey, Le Monde des livres, jeudi 23 décembre 2021. Lire

Éric Favereau, « Une expo sur François Tosquelles ? Sans déconner ! », Libération, jeudi 16 décembre 2021